La Vita Nuova | Page 6

Dante Alighieri
probable qu'il a retouché les produits de ses inspirations
journalières, et on ne saurait douter, qu'il n'y ait introduit après coup
plus d'une interpolation, car il y a plusieurs passages de la Vita nuova
dont l'interprétation ne paraît possible que moyennant une telle
supposition.
Cette prose nous aide à établir la filiation des circonstances qui ont
sollicité ou inspiré les pièces poétiques. Elle n'est souvent que comme
la préparation de celles-ci, et le même récit peut se reproduire ainsi
sous deux formes successives. Quelquefois aussi cette double
expression d'événemens ou d'impressions identiques se présente sons
des formes un peu différentes. C'est comme un motif musical que le

compositeur répète dans un ton différent ou avec des développemens
nouveaux.

V
Cette traduction est absolument littérale. On reconnaîtra aisément que
le traducteur a sacrifié plus d'une fois les exigences du style moderne
au scrupule de s'écarter le moins possible d'un style encore médiéval,
mais alors nouveau, dolce stil nuovo, qui est un des charmes de cette
oeuvre. Il s'est contenté de conserver la coupe des morceaux rimes.
C'est tout ce qu'il pouvait faire, toute tentative de reproduire en vers
une oeuvre poétique ne pouvant que compromettre la fidélité de la
traduction, en raison des nécessités et des procédés d'une prosodie tout
autre que celle du modèle. Et la pensée du Poète est toujours si nette et
si concise qu'il n'a été que très rarement nécessaire d'intervertir l'ordre
de leur alignement.
La seule modification que je me sois permise dans la construction
générale de l'oeuvre a été de renvoyer aux Commentaires les analyses
scolastiques qui accompagnent chacun des poèmes. Il m'a semblé que
cette dichotomie glaciale n'était pas à sa place parmi ces lignes de grâce
et d'émotion. Mais on la retrouvera fidèlement reproduite dans les
commentaires se rapportante chacun des chapitres.
Le présent travail n'est pas une oeuvre d'érudition. Il a été fait sur le
texte de Fraticelli et sur celui de Giuliani. Les textes qu'ont pu suivre
ces savans éditeurs de la Vita nuova avaient dû subir avant eux bien des
vicissitudes. Je ne sais si tous les efforts de l'érudition italienne
parviendront à les rétablir dans leur pureté primitive: il y a longtemps
qu'on y travaille. Un récent fascicule publié par la Società Dantesca
Italiana[18] nous fournit un grand nombre d'exemples des variantes
infinies qu'ont pu y introduire les erreurs, les inattentions, les fantaisies
de nombreuses générations de copistes. Il m'a paru que ces variantes et
ces corrections portaient surtout sur des lettres ou des syllabes,
rarement sur des mots entiers, sans parler de la ponctuation qui a dû
être bien souvent défectueuse. Mais il ne m'a pas semblé que les

intentions de l'auteur aient eu beaucoup à en souffrir. Et ce qui doit
nous intéresser ici, c'est uniquement ses sentimens, sa pensée, son
imagination.
Il n'est peut-être pas un des incidens de la vie de Dante ou un des
passages de sa production poétique qui n'ait été l'objet de disquisitions
contradictoires portant sur la valeur des textes transmis à la postérité
(les manuscrits originaux ayant rapidement disparu), ou sur les dates ou
sur la succession des événemens auxquels ils font allusion. Comme tout
est extraordinaire dans la vie comme dans l'oeuvre du Poète, on n'a pu
parvenir à déterminer, avec quelque précision, même l'époque
approximative où ces oeuvres ont été conçues, achevées, ou se sont
succédé.
Et encore, l'énormité et la diversité de l'oeuvre prise dans son ensemble,
comment la concilier avec une existence aussi profondément
mouvementée? Il est même une époque qui semblait devoir être fermée
à son activité littéraire.
Après la tributazione qui a suivi la mort de Béatrice (1290), nous
voyons son existence remplie par le travail et l'étude: il consacre des
années, trente mois (Il Convito), à l'étude du latin, que jusqu'alors il ne
possédait qu'imparfaitement et où il devait trouver ses auteurs de
prédilection, à l'assiduité aux leçons des philosophes et des théologiens.
Puis son entrée officielle dans la vie publique[19], puis son Priorat[20],
sa durée courte mais effective, puis les premières années de son exil et
l'agitation politique à laquelle il s'associe.... Voilà, si l'on considère la
vie qu'il pouvait mener, bien des sujets de stupéfaction, on pourrait dire
d'une sorte de vertige.
N'ayant pas qualité pour intervenir dans les débats dont ces sujets ont
été, dont ils sont encore tous les jours, l'occasion, j'ai dû m'en tenir à la
tradition, plus ou moins légendaire, que j'ai pu demander aux sources
les plus autorisées, et à la représentation, aussi fidèle qu'il m'a été
possible, du texte, sinon officiel, du moins accepté de la Vita nuova.

Les Commentaires dont j'ai accompagné la traduction du texte
concernent les interprétations de la partie symbolique et philosophique
du poème, et ont en même temps pour objet de ramener à l'esprit du
lecteur la propre personnalité du Poète et le
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