La Vita Nuova | Page 5

Dante Alighieri
personnelle se laissaient colporter par les jongleurs et les
ménestrels.
C'est ainsi que Dante lui-même, et les Guido, et toute la phalange des
rimeurs de la langue du Si ou de la langue de l'Occo, jusqu'à Pétrarque
enfin, préludaient aux accens plus virils de la Divine Comédie et de la
Jérusalem délivrée.
Dante, dont l'oeuvre devait devancer l'époque où il vivait, appartenait
encore à celle-ci par les sujets de ses premiers essais lyriques. Il aimait,
comme tant de ses contemporains, à reproduire en rimes les événemens
qui avaient frappé son attention, comme les émotions de son coeur et
les rêves de son imagination.
La passion qui occupa la fin de son enfance et son adolescence, et à
l'histoire de laquelle est consacrée la Vita nuova, fournit à ses instincts
poétiques, comme il te déclare lui-même, une matière féconde. Et,
«comme il s'était déjà de bonne heure essayé aux choses rimées», tous
les incidens de sa vie amoureuse, et les drames qui pouvaient s'y
rattacher, comme en peuvent rencontrer les existences les plus simples
et les plus modestes, et ce que suscitaient en lui les mouvemens de son
âme, ou bien les choses du dehors, devinrent les sujets des canzoni, des
sonnets, des ballades, qui forment la trame de la Vita nuova.
Quelque temps après que la mort de la femme qu'il avait aimée fut
venue tarir la source de ses expansions lyriques, il les recueillit, et il les
reproduisit «dans ce petit livre, sinon textuellement, du moins suivant
la signification qu'elles avaient.»
Mais d'abord il en fit un choix, il les retoucha, il y introduisit sans doute
plus d'une interpolation, et il les relia par une prose qui nous aide à
reconstruire cette douce et tendre histoire, mélancolique aurore des
jours orageux que la destinée lui préparait.

IV
Ce que j'ai appelé plus haut l'économie littéraire de la Vita nuova est
tout à fait particulier.
Celle-ci nous rappelle ces monumens composites où l'on retrouve le
style et l'époque des constructions qui se sont superposées. Les élémens
dont elle se compose peuvent être ramenés à trois ordres différens:
1° Une prose qui nous expose le récit. Son développement comprend la
succession d'événemens, d'impressions et de sentimens dont l'évolution
constitue la charpente même de l'oeuvre;
2° Des vers, sous forme de canzoni, de sonnets, de ballades se
rapportant aux momens successifs que suit l'action du poème;
3° Des explications, divisions et subdivisions à l'infini, lesquelles,
conformément aux règles de la scolastique, se rapportent à la structure
et à la signification de chacune de ces poésies.
Le tout est contenu dans quarante-trois chapitres.
Mais cette exposition n'est pas précisément conforme à l'ordre
chronologique de la composition.
Il n'est pas douteux que la première émanation de la Vita nuova
appartient aux petits poèmes dans lesquels l'auteur nous initie aux
sentimens intimes dont l'expression rimée est la trame véritable de son
oeuvre. Chacun d'eux est le tableau, achevé dans sa concision, d'un état
d'âme sollicité par les circonstances extérieures ou par sa propre
inspiration.
Si l'on veut bien se reporter à ce qui a été exposé plus haut (page 16) au
sujet des habitudes littéraires de cette époque, on pourra suivre la
genèse de chacune de ces poésies, où l'auteur reproduisait à mesure,
sous la forme que lui dictaient et son époque et son génie, ses
impressions et ses pensées du moment.

Ceci comprend un intervalle de 16 années, si l'on veut compter depuis
la première (1274) où naquit l'amour de Dante pour Béatrice jusqu'à la
mort de celle-ci (1290); mais en réalité le roman ne déroule ses
péripéties que pendant une durée de trois ou quatre années.
C'est après la mort de Béatrice que le Poète a rassemblé les expressions
de ses expansions poétiques, et leur a donné un corps en composant,
avec ses souvenirs, la prose qui sert à les relier. Pour des raisons que
nous ne connaissons pas, il a laissé en dehors un certain nombre de
pièces rimées qui avaient été certainement composées aux mêmes
époques, et se rapportaient aux mêmes sujets et aux mêmes idées que
les pièces conservées «dans ce petit livre».
Dans la plupart des éditions italiennes de la Vita nuova, le texte du
poème est suivi d'un appendice comprenant: altre rime spettanti alla
Vita nuova. Toutes ces poésies (rime), sonnets, canzoni, etc., ne
tiennent pas une place égale dans le poème. J'ai reproduit dans les
Commentaires celles qui m'ont paru se rattacher plus directement à tels
ou tels chapitres, c'est-à-dire aux circonstances qui y sont relatées.
C'est donc aux premières années qui ont suivi la mort de Béatrice qu'il
faut rapporter ce travail de reconstruction. On s'accorde généralement à
le placer vers les années 1291 et 1292, ainsi que la composition de la
prose, qui enveloppe la poésie comme la chair d'un fruit en enveloppe
le noyau.
Il est
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