La Vie de M. de Molière | Page 7

Jean-Léonor de Grimarest
go?t Italien.
Le Roi parut satisfait du compliment de Molière, qui l'avoit travaillé avec soin; et sa Majesté voulut bien qu'il lui donnat la première de ces deux petites Pièces, qui eut un succès favorable. Le Jeu de ces Comédiens fut d'autant plus go?té, que depuis quelque tems on ne jouoit plus que des Pièces sérieuses à l'H?tel de Bourgogne: le plaisir des petites Comédies étoit perdu.
* * * * *
Le divertissement que cette Troupe venoit de donner à Sa Majesté, lui a?ant plu, Elle voulut qu'elle s'établ?t à Paris: et pour faciliter cet établissement, le Roi eut la bonté de donner le petit Bourbon à ces Comédiens, pour jouer alternativement avec les Italiens. On s?ait qu'ils passèrent en 1660 au Palais Royal, et qu'ils prirent le titre de Comédiens de Monsieur.
Molière, qui en homme de bon sens, se défioit toujours de ses forces, eut peur alors que ses ouvrages n'eussent pas du Public de Paris autant d'aplaudissement que dans les Provinces. Il apréhendoit de trouver dans ce Parterre, qui ne passoit rien de défectueux dans ce tems-là, non plus qu'en celui-ci, des esprits qui ne fussent pas plus contens de lui, qu'il l'étoit lui-même. Et si sa Troupe dans les commencemens ne l'avoit excité à profiter des heureuses dispositions qu'elle lui connoissoit pour le Théatre comique, peut-être ne se seroit-t-il pas hazardé de livrer ses Ouvrages au Public. ?Je ne comprens pas,? disoit-il, à ses camarades en Languedoc, ?comment des personnes d'esprit prennent du plaisir à ce que je leur donne; mais je s?ais bien qu'en leur place, je n'y trouverois aucun go?t.--Eh! ne craignez rien,? lui répondit un de ses amis; ?l'homme qui veut rire se divertit de tout, le Courtisan, comme le Peuple.? Les Comédiens le rassurèrent à Paris, comme dans la Province; et ils commencèrent à représenter dans cette grande Ville, le 3e de Novembre 1658. L'étourdi, la première de ses Pièces, qu'il fit paro?tre dans ce même mois, et le Dépit amoureux qu'il donna au mois de Décembre suivant, furent re?us avec aplaudissement: et Molière enleva tout-à-fait l'estime du Public en 1659, par les Précieuses ridicules: Ouvrage qui fit alors espérer de cet Auteur les bonnes choses qu'il nous a données depuis. Cette Pièce fut représentée au simple la première fois; mais le jour suivant on fut obligé de la mettre au double, à cause de la foule incroyable, qui y avoit été le premier jour. Et cette Pièce, de même que l'étourdi et le Dépit amoureux, quoique jouée dans les Provinces pendant long-tems, eut cependant à Paris tout le mérite de la nouveauté.
Les Précieuses furent jouées pendant quatre mois de suite. Mr Ménage, qui étoit à la première représentation de cette Pièce, en jugea favorablement. ?Elle fut jouée,? dit-t-il, ?avec un applaudissement général, et j'en fus si satisfait en mon particulier que je vis dès lors l'effet qu'elle alloit produire. Monsieur, dis-je à Mr Chapelain en sortant de la Comédie, nous aprouvions vous et moi toutes les sotises qui viennent d'être critiquées si finement, et avec tant de bon sens: mais croyez-moi, il nous faudra br?ler ce que nous avons adoré, et adorer ce que nous avons br?lé. Cela arriva, comme je l'avois prédit, & dès cette première représentation l'on revint du galimathias, et du stile forcé.?
Un jour, que l'on représentoit cette Pièce, un Vieillard s'écria du milieu du Parterre: Courage, courage, Molière, voilà la bonne Comédie. Ce qui fait bien conno?tre que le Théatre comique étoit alors bien négligé; et que l'on étoit fatigué de mauvais Ouvrages avant Molière, comme nous l'avons été après l'avoir perdu.
Cette Comédie eut cependant des critiques; on disoit que c'étoit une charge un peu forte. Mais Molière connoissoit déjà le point de vue du Théatre, qui demande de gros traits pour affecter le Public; & ce principe lui a toujours réussi dans tous les caractères qu'il a voulu peindre.
* * * * *
Le 28 Mars 1660, Molière donna pour la première fois le Cocu imaginaire, qui eut beaucoup de succès. Cependant les petits Auteurs comiques de ce tems-là, allarmez de la réputation que Molière commen?oit à se former, fesoient tout leur possible pour décrier sa Pièce. Quelques personnes savantes et délicates répandoient aussi leur critique. Le titre de cet ouvrage, disoient-ils, n'est pas noble; et puisqu'il a pris presque toute cette Pièce chez les étrangers, il pouvoit choisir un sujet qui lui f?t plus d'honneur. Le commun des gens ne lui tenoit pas compte de cette Pièce comme des Précieuses ridicules; les caractères de celle-là ne les touchoient pas aussi vivement que ceux de l'autre. Cependant malgré l'envie des Troupes, des Auteurs, et des personnes inquiètes, le Cocu imaginaire passa avec aplaudissement dans le Public. Un bon Bourgeois de Paris, vivant bien noblement, mais dans les chagrins que l'humeur et la beauté de sa femme lui avoient assez publiquement
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 64
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.