La Vie de M. de Molière | Page 4

Jean-Léonor de Grimarest
donner. On doit s'intéresser à la mémoire d'un homme qui s'est rendu si illustre dans son genre. Quelles obligations notre Scène comique ne lui a-t-elle pas? Lorsqu'il commen?a à travailler, elle étoit destituée d'ordre, de moeurs, de go?t, de caractères; tout y étoit vicieux. Et nous sentons assez souvent aujourd'hui que sans ce Génie supérieur le Théatre comique seroit peut-être encore dans cet affreux chaos, d'où il l'a tiré par la force de son imagination; aidée d'une profonde lecture, et de ses réflexions, qu'il a toujours heureusement mises en oeuvre. Ses Pièces représentées sur tant de Théatres, traduites en tant de langues, le feront admirer autant de siècles que la Scène durera. Cependant on ignore ce grand Homme; et les foibles crayons, qu'on nous en a donnez, sont tous manquez; ou si peu recherchez, qu'ils ne suffisent pas pour le faire conno?tre tel qu'il étoit. Le Public est rempli d'une infinité de fausses Histoires à son ocasion. Il y a peu de personnes de son temps, qui pour se faire honneur d'avoir figuré avec lui, n'inventent des avantures qu'ils prétendent avoir eues ensemble. J'en ai eu plus de peine à déveloper la vérité; mais je la rends sur des Mémoires très-assurez; et je n'ai point épargné les soins pour n'avancer rien de douteux. J'ai écarté aussi beaucoup de faits domestiques, qui sont communs à toutes sortes de personnes; mais je n'ai point négligé ceux qui peuvent réveiller mon Lecteur. Je me flate que le Public me s?aura bon gré d'avoir travaillé: je lui donne la Vie d'une personne qui l'ocupe si souvent; d'un Auteur inimitable, dont le souvenir touche tous ceux qui ont le discernement assez heureux pour sentir à la lecture, ou à la représentation de ses Pièces, toutes les beautez qu'il y a répandues.
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Mr de Molière se nommoit Jean-Baptiste Pocquelin; il estoit fils et petit-fils de Tapissiers, Valets-de-Chambre du Roy Louis XIII. Ils avoient leur boutique sous les pilliers des Halles, dans une maison qui leur appartenoit en propre. Sa mère s'appelloit Boudet: elle étoit aussi fille d'un Tapissier, établi sous les mêmes piliers des Halles.
Les parens de Molière l'élevèrent pour être Tapissier; et ils le firent recevoir en survivance de la Charge du père dans un age peu avancé: ils n'épargnèrent aucuns soins pour le mettre en état de la bien exercer; ces bonnes Gens n'a?ant pas de sentimens qui d?ssent les engager à destiner leur enfant à des occupations plus élevées: de sorte qu'il resta dans la boutique jusqu'à l'age de quatorze ans; et ils se contentèrent de lui faire apprendre à lire et à écrire pour les besoins de sa profession.
Molière avoit un grand-père, qui l'aimoit éperduement; et comme ce bon homme avoit de la passion pour la Comédie, il y menoit souvent le petit Pocquelin, à l'H?tel de Bourgogne. Le père qui appréhendoit que ce plaisir ne dissipat son fils, et ne lui ?tat toute l'attention qu'il devoit à son métier, demanda un jour à ce bon homme pourquoi il menoit si souvent son petit-fils au spectacle? ?Avez-vous?, lui dit-il, avec un peu d'indignation, ?envie d'en faire un Comédien?--Pl?t à Dieu?, lui répondit le grand-père, ?qu'il f?t aussi bon Comédien que Belleroze? (c'étoit un fameux Acteur de ce tems là). Cette réponse frapa le jeune homme, et sans pourtant qu'il e?t d'inclination déterminée, elle lui fit na?tre du dégo?t pour la profession de Tapissier; s'imaginant que puisque son grand-père souhaitoit qu'il p?t être Comédien, il pouvoit aspirer à quelque chose de plus qu'au métier de son père.
Cette prévention s'imprima tellement dans son esprit, qu'il ne restoit dans la boutique qu'avec chagrin: de manière que revenant un jour de la Comédie, son père lui demanda pourquoi il estoit si mélancholique depuis quelque tems? Le petit Pocquelin ne put tenir contre l'envie qu'il avoit de déclarer ses sentimens à son père: il lui avoua franchement qu'il ne pouvoit s'accommoder de sa Profession; mais qu'il lui feroit un plaisir sensible de le faire étudier. Le grand-père, qui étoit présent à cet éclaircissement, appuya par de bonnes raisons l'inclination de son petit-fils. Le père s'y rendit, et se détermina à l'envoyer au Collége des Jésuites.
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Le jeune Pocquelin étoit né avec de si heureuses dispositions pour les études, qu'en cinq années de tems il fit non seulement ses Humanitez, mais encore sa Philosophie.
Ce fut au Collége qu'il fit connoissance avec deux Hommes illustres de notre tems, Mr de Chapelle et Mr Bernier.
Chapelle étoit fils de Mr Luillier, sans pouvoir être son héritier de droit; mais il auroit pu lui laisser les grands biens qu'il possédoit, si par la suite il ne l'avoit reconnu incapable de les gouverner. Il se contenta de lui laisser seulement 8000 livres de rente entre les mains de personnes qui les lui payoient régulièrement.
Mr Luillier n'épargna rien
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