La Vie de M. de Molière | Page 5

Jean-Léonor de Grimarest

notre tems, Mr de Chapelle et Mr Bernier.
Chapelle étoit fils de Mr Luillier, sans pouvoir être son héritier de droit;
mais il auroit pu lui laisser les grands biens qu'il possédoit, si par la
suite il ne l'avoit reconnu incapable de les gouverner. Il se contenta de
lui laisser seulement 8000 livres de rente entre les mains de personnes
qui les lui payoient régulièrement.
Mr Luillier n'épargna rien pour donner une belle éducation à Chapelle,
jusqu'à lui choisir pour Précepteur le célèbre Mr de Gassendi; qui aïant
remarqué dans Molière toute la docilité et toute la pénétration
nécessaires pour prendre les connoissances de la Philosophie, se fit un
plaisir de la lui enseigner en même tems qu'à Messieurs de Chapelle et
Bernier.
Cyrano de Bergerac, que son père avoit envoyé à Paris sur sa propre
conduite, pour achever ses études, qu'il avoit assez mal commencées en
Gascogne, se glissa dans la société des Disciples de Gassendi, aïant
remarqué l'avantage considérable qu'il en tireroit. Il y fut admis
cependant avec répugnance; l'esprit turbulent de Cyrano ne convenoit
point avec de jeunes gens, qui avoient déjà toute la justesse d'esprit que
l'on peut souhaiter dans des personnes toutes formées. Mais le moyen
de se débarasser d'un jeune homme aussi insinuant, aussi vif, aussi
gascon que Cyrano? Il fut donc reçu aux études et aux conversations
que Gassendi conduisoit avec les personnes que je viens de nommer. Et

comme ce même Cyrano étoit très-avide de sçavoir, et qu'il avoit une
mémoire fort heureuse, il profitoit de tout; et il se fit un fond de bonnes
choses, dont il tira avantage dans la suite. Molière aussi ne s'est il pas
fait un scrupule de placer dans ses Ouvrages plusieurs pensées, que
Cyrano avoit employées auparavant dans les siens? Il m'est permis,
disoit Molière, de reprendre mon bien où je le trouve.
* * * * *
Quand Molière eut achevé ses études, il fut obligé, à cause du grand
âge de son père, d'exercer sa Charge pendant quelque tems; et même il
fit le voyage de Narbonne à la suite de Louis XIII. La Cour ne lui fit
pas perdre le goût qu'il avoit pris dès sa jeunese pour la Comédie: ses
études n'avoient même servi qu'à l'y entretenir. C'étoit assez la coutume
dans ce tems-là de représenter des pièces entre amis; quelques
Bourgeois de Paris formèrent une troupe, dont Molière étoit; ils
jouèrent plusieurs fois pour se divertir. Mais ces Bourgeois aïant
suffisamment rempli leur plaisir, et s'imaginant être de bons Acteurs,
s'avisèrent de tirer du profit de leurs représentations. Ils pensèrent bien
sérieusement aux moyens d'exécuter leur dessein: et après avoir pris
toutes leurs mesures, ils s'établirent dans le jeu de paume de la Croix
blanche, au Fauxbourg Saint Germain. Ce fut alors que Molière prit le
nom qu'il a toujours porté depuis. Mais lorsqu'on lui a demandé ce qui
l'avoit engagé à prendre celui-là plutôt qu'un autre, jamais il n'en a
voulu dire la raison, même à ses meilleurs amis.
L'établissement de cette nouvelle troupe de Comédiens n'eut point de
succès, parce qu'ils ne voulurent point suivre les avis de Molière, qui
avoit le discernement et les vues beaucoup plus justes, que des gens qui
n'avoient pas été cultivez avec autant de soin que lui.
Un Auteur grave nous fait un conte au sujet du parti que Molière avoit
pris, de jouer la Comédie. Il avance que sa famille alarmée de ce
dangereux dessein, lui envoya un Ecclésiastique, pour lui représenter
qu'il perdoit entièrement l'honneur de sa famille; qu'il plongeoit ses
parens dans de douloureux déplaisirs; et qu'enfin il risquoit son salut
d'embrasser une profession contre les bonnes moeurs, et condamnée par
l'Église; mais qu'après avoir écouté tranquilement l'Ecclésiastique,

Molière parla à son tour avec tant de force en faveur du Théâtre, qu'il
séduisit l'esprit de celui qui le vouloit convertir, et l'emmena avec lui
pour jouer la Comédie. Ce fait est absolument inventé par les personnes
de qui Mr P** peut l'avoir pris pour nous le donner. Et quand je n'en
aurois pas de certitude, le Recteur à la première réflexion présumera
avec moi que ce fait n'a aucune vrai-semblance. Il est vrai que les
parents de Molière essayèrent par toutes sortes de voies de le détourner
de sa résolution; mais ce fut inutilement: sa passion pour la Comédie
l'emportoit sur toutes leurs raisons.
Quoique la troupe de Molière n'eût point réussi: cependant pour peu
qu'elle avoit paru, elle lui avoit donné occasion suffisamment de faire
valoir dans le monde les dispositions extraordinaires qu'il avoit pour le
Théâtre. Et Monsieur le Prince de Conti, qui l'avoit fait venir plusieurs
fois jouer dans son Hôtel, l'encouragea. Et voulant bien l'honorer de sa
protection, il lui ordonna de le venir trouver en Languedoc avec sa
troupe, pour y jouer la Comédie.
Cette troupe
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