Illustre. FAIT à Paris ce 15e Décembre 1704.
FONTENELLE.
* * * * *
Le Privilége du Roy, en date du 11 Janvier 1705, est au nom de
Jean-Leonor LE GALLOIS, SIEUR DE GRIMAREST.
LA VIE DE MR DE MOLIÈRE
Il y a lieu de s'étonner que personne n'ait encore recherché la Vie de Mr
de Molière pour nous la donner. On doit s'intéresser à la mémoire d'un
homme qui s'est rendu si illustre dans son genre. Quelles obligations
notre Scène comique ne lui a-t-elle pas? Lorsqu'il commença à
travailler, elle étoit destituée d'ordre, de moeurs, de goût, de caractères;
tout y étoit vicieux. Et nous sentons assez souvent aujourd'hui que sans
ce Génie supérieur le Théâtre comique seroit peut-être encore dans cet
affreux chaos, d'où il l'a tiré par la force de son imagination; aidée
d'une profonde lecture, et de ses réflexions, qu'il a toujours
heureusement mises en oeuvre. Ses Pièces représentées sur tant de
Théâtres, traduites en tant de langues, le feront admirer autant de
siècles que la Scène durera. Cependant on ignore ce grand Homme; et
les foibles crayons, qu'on nous en a donnez, sont tous manquez; ou si
peu recherchez, qu'ils ne suffisent pas pour le faire connoître tel qu'il
étoit. Le Public est rempli d'une infinité de fausses Histoires à son
ocasion. Il y a peu de personnes de son temps, qui pour se faire honneur
d'avoir figuré avec lui, n'inventent des avantures qu'ils prétendent avoir
eues ensemble. J'en ai eu plus de peine à déveloper la vérité; mais je la
rends sur des Mémoires très-assurez; et je n'ai point épargné les soins
pour n'avancer rien de douteux. J'ai écarté aussi beaucoup de faits
domestiques, qui sont communs à toutes sortes de personnes; mais je
n'ai point négligé ceux qui peuvent réveiller mon Lecteur. Je me flate
que le Public me sçaura bon gré d'avoir travaillé: je lui donne la Vie
d'une personne qui l'ocupe si souvent; d'un Auteur inimitable, dont le
souvenir touche tous ceux qui ont le discernement assez heureux pour
sentir à la lecture, ou à la représentation de ses Pièces, toutes les
beautez qu'il y a répandues.
* * * * *
Mr de Molière se nommoit Jean-Baptiste Pocquelin; il estoit fils et
petit-fils de Tapissiers, Valets-de-Chambre du Roy Louis XIII. Ils
avoient leur boutique sous les pilliers des Halles, dans une maison qui
leur appartenoit en propre. Sa mère s'appelloit Boudet: elle étoit aussi
fille d'un Tapissier, établi sous les mêmes piliers des Halles.
Les parens de Molière l'élevèrent pour être Tapissier; et ils le firent
recevoir en survivance de la Charge du père dans un âge peu avancé: ils
n'épargnèrent aucuns soins pour le mettre en état de la bien exercer; ces
bonnes Gens n'aïant pas de sentimens qui dûssent les engager à destiner
leur enfant à des occupations plus élevées: de sorte qu'il resta dans la
boutique jusqu'à l'âge de quatorze ans; et ils se contentèrent de lui faire
apprendre à lire et à écrire pour les besoins de sa profession.
Molière avoit un grand-père, qui l'aimoit éperduement; et comme ce
bon homme avoit de la passion pour la Comédie, il y menoit souvent le
petit Pocquelin, à l'Hôtel de Bourgogne. Le père qui appréhendoit que
ce plaisir ne dissipât son fils, et ne lui ôtât toute l'attention qu'il devoit à
son métier, demanda un jour à ce bon homme pourquoi il menoit si
souvent son petit-fils au spectacle? «Avez-vous», lui dit-il, avec un peu
d'indignation, «envie d'en faire un Comédien?--Plût à Dieu», lui
répondit le grand-père, «qu'il fût aussi bon Comédien que Belleroze»
(c'étoit un fameux Acteur de ce tems là). Cette réponse frapa le jeune
homme, et sans pourtant qu'il eût d'inclination déterminée, elle lui fit
naître du dégoût pour la profession de Tapissier; s'imaginant que
puisque son grand-père souhaitoit qu'il pût être Comédien, il pouvoit
aspirer à quelque chose de plus qu'au métier de son père.
Cette prévention s'imprima tellement dans son esprit, qu'il ne restoit
dans la boutique qu'avec chagrin: de manière que revenant un jour de la
Comédie, son père lui demanda pourquoi il estoit si mélancholique
depuis quelque tems? Le petit Pocquelin ne put tenir contre l'envie qu'il
avoit de déclarer ses sentimens à son père: il lui avoua franchement
qu'il ne pouvoit s'accommoder de sa Profession; mais qu'il lui feroit un
plaisir sensible de le faire étudier. Le grand-père, qui étoit présent à cet
éclaircissement, appuya par de bonnes raisons l'inclination de son
petit-fils. Le père s'y rendit, et se détermina à l'envoyer au Collége des
Jésuites.
* * * * *
Le jeune Pocquelin étoit né avec de si heureuses dispositions pour les
études, qu'en cinq années de tems il fit non seulement ses Humanitez,
mais encore sa Philosophie.
Ce fut au Collége qu'il fit connoissance avec deux Hommes illustres de
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.