étoit composée de la Béjart, de ses deux frères, de Gros
René, de Duparc, de sa femme, d'un Pâtissier de la rue Saint Honoré,
père de la Damoiselle de la G**, femme-de-chambre de la De-Brie;
celle-cy étoit aussi de la troupe avec son mari, et quelques autres.
Molière en formant sa troupe, lia une forte amitié avec la Béjart, qui
avant qu'elle le connût, avoit eu une petite Fille de Monsieur de
Modène, Gentilhomme d'Avignon, avec qui j'ai sçu, par des
témoignages très-assurez, que la mère avoit contracté un mariage caché.
Cette petite fille accoutumée avec Molière, qu'elle voyoit
continuellement, l'appella son mari, dès qu'elle sçut parler; et à mesure
qu'elle croissoit, ce nom déplaisoit moins à Molière, mais cela ne
paroissoit à personne tirer à aucune conséquence. La mère ne pensoit à
rien moins qu'à ce qui arriva dans la suite; et occupée seulement de
l'amitié qu'elle avoit pour son prétendu gendre, elle ne voyoit rien qui
dût lui faire faire des réflexions.
* * * * *
Molière partit avec sa troupe, qui eut bien de l'aplaudissement en
passant à Lyon, en 1653, où il donna au public l'Étourdi, la première de
ses Pièces, qui eut autant de succès qu'il en pouvoit espérer. La Troupe
passa en Languedoc, où Molière fut reçu très-favorablement de
Monsieur le Prince de Conti, qui eut la bonté de donner des
appointemens à ces Comédiens.
Molière s'acquit beaucoup de réputation dans cette Province, par les
trois premières Pièces de sa façon qu'il fit paroître; l'Étourdi, le Dépit
amoureux, et les Précieuses ridicules. Ce qui engagea d'autant plus
Monsieur le Prince de Conti à l'honorer de sa bienveillance, et de ses
bienfaits: ce Prince lui confia la conduite des plaisirs et des spectacles
qu'il donnoit à la Province, pendant qu'il en tint les États. Et aïant
remarqué en peu de tems toutes les bonnes qualitez de Molière, son
estime pour lui alla si loin, qu'il le voulut faire son Secrétaire. Mais il
aimoit l'indépendance, et il étoit si rempli du désir de faire valoir le
talent qu'il se connoissoit, qu'il pria Monsieur le Prince de Conti de le
laisser continuer la Comédie; et la place qu'il auroit remplie fut donnée
à Monsieur de Simoni. Ses amis le blâmèrent de n'avoir point accepté
un emploi si avantageux. «Eh! Messieurs,» leur dit-il, «ne nous
déplaçons jamais; je suis passable Auteur, si j'en crois la voix publique;
je puis être un fort mauvais Secrétaire. Je divertis le Prince par les
spectacles que je lui donne; je le rebuterai par un travail sérieux, et mal
conduit. Et pensez-vous d'ailleurs,» ajouta-t-il, «qu'un Misantrope
comme moi, capricieux si vous voulez, soit propre auprès d'un Grand?
Je n'ai pas les sentimens assez flexibles pour la domesticité. Mais plus
que tout cela, que deviendront ces pauvres gens que j'ai amenés de si
loin? Qui les conduira? Ils ont compté sur moi; et je me reprocherois de
les abandonner.» Cependant j'ai sçû que la Béjart, lui auroit fait le plus
de peine à quitter; et cette femme, qui avoit tout pouvoir sur son esprit,
l'empêcha de suivre Monsieur le Prince de Conti. De son côté, Molière
étoit ravi de se voir le Chef d'une Troupe; il se fesoit un plaisir sensible
de conduire sa petite République: il aimoit à parler en public, il n'en
perdoit jamais l'occasion; jusques-là que s'il mouroit quelque
Domestique de son Théâtre, ce lui étoit un sujet de haranguer pour le
premier jour de Comédie. Tout cela lui auroit manqué chez Monsieur le
Prince de Conti.
* * * * *
Après quatre ou cinq années de succès dans la Province, la Troupe
résolut de venir à Paris. Molière sentit qu'il avoit assez de force pour y
soutenir un Théâtre comique; et qu'il avoit assez façonné ses
Comédiens pour espérer d'y avoir un plus heureux succès que la
première fois. Il s'assuroit aussi sur la protection de Monsieur le Prince
de Conti.
Molière quitta donc le Languedoc avec sa Troupe: mais il s'arrêta à
Grenoble, où il joua pendant tout le Carnaval. Après quoi, ces
Comédiens vinrent à Rouen, afin qu'étant plus à portée de Paris, leur
mérite s'y répandît plus aisément. Pendant ce séjour, qui dura tout l'Été,
Molière fit plusieurs voyages à Paris, pour se préparer une entrée chez
Monsieur, qui lui aïant acordé sa protection, eut la bonté de le présenter
au Roi et à la Reine Mère.
Ces Comédiens eurent l'honneur de représenter la pièce de Nicomède
devant leurs Majestez au mois d'Octobre 1658. Leur début fut heureux;
et les Actrices sur tout furent trouvées bonnes. Mais comme Molière
sentoit bien que sa Troupe ne l'emporteroit pas pour le sérieux sur celle
de l'Hôtel de Bourgogne, après la Pièce il s'avança sur le Théâtre, et fit
un remercîment à sa Majesté, et la suplia d'agréer qu'il lui
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