La Tulipe Noire | Page 8

Alexandre Dumas, père
une violente secousse. Il y eut un moment d'h?sitation et de tremblement dans toute la machine roulante, qui s'emporta de nouveau, passant sur quelque chose de rond et de flexible qui semblait ?tre le corps d'un homme renvers?, et s'?loigna au milieu des blasph?mes.
--Oh! dit Corneille, je crains bien que nous n'ayons fait un malheur. --Au galop! au galop! cria Jean. --Mais, malgr? cet ordre, tout �� coup le cocher s'arr?ta. --Eh bien? demanda Jean. --Voyez-vous? dit le cocher.
Jean regarda.
Toute la populace du Buytenhoff apparaissait �� l'extr?mit? de la rue que devait suivre la voiture.
--Arr?te et sauve-toi, dit Jean au cocher; il est inutile d'aller plus loin; nous sommes perdus. --Les voil��! les voil��! cri?rent ensemble cinq cents voix. --Oui, les voil��, les tra?tres! les meurtriers! les assassins! r?pondirent ceux qui couraient apr?s la voiture.
Tout �� coup le carrosse s'arr?ta. Un mar?chal venait, d'un coup de massue, d'assommer un des deux chevaux, qui tomba dans les traits. En ce moment le volet d'une fen?tre s'entr'ouvrit et l'on put voir le visage livide et les yeux sombres d'un jeune homme se fixant sur le spectacle qui se pr?parait. Derri?re lui apparaissait la t?te d'un officier presque aussi p?le que la sienne.
--Oh! mon Dieu! mon Dieu! monseigneur, que va-t-il se passer? murmura l'officier. --Quelque chose de terrible, bien certainement, r?pondit celui-ci. --Oh! voyez-vous, monseigneur, ils tirent le grand pensionnaire de la voiture, ils le battent, ils le d?chirent. --En v?rit?, il faut que ces gens-l�� soient anim?s d'une bien violente indignation, fit le jeune homme du m?me ton impassible qu'il avait conserv? jusqu'alors. --Et voici Corneille qu'ils tirent �� son tour du carrosse, Corneille d?j�� tout bris?, tout mutil? par la torture. Oh! voyez donc, voyez donc. --Oui, en effet, c'est bien Corneille.
L'officier poussa un faible cri et d?tourna la t?te. C'est que, sur le dernier degr? du marchepied, avant m?me qu'il eut touch? la terre, Corneille de Witt venait de recevoir un coup de barre de fer qui lui avait bris? la t?te. Il se releva cependant, mais pour retomber aussit��t. Puis des hommes le prenant par les pieds, le tir?rent dans la foule, au milieu de laquelle on put suivre le sillage sanglant qu'il y tra?ait et qui se refermait derri?re lui avec de grandes hu?es pleines de joie. Le jeune homme devint plus p?le encore, ce qu'on e�Ct cru impossible, et son oeil se voila un instant sous sa paupi?re. L'officier vit ce mouvement de piti?, le premier que son s?v?re compagnon e�Ct laiss? ?chapper, et voulant profiter de cet amollissement de son ?me:
--Venez, venez, monseigneur, dit-il, car voil�� qu'on va assassiner aussi le grand pensionnaire.
Mais le jeune homme avait d?j�� ouvert les yeux.
--En v?rit?! dit-il. Ce peuple est implacable. Il ne fait pas bon de le trahir. --Monseigneur, dit l'officier, est-ce qu'on ne pourrait pas sauver ce pauvre homme, qui a ?lev? Votre Altesse? S'il y a un moyen, dites-le, et duss?-je y perdre la vie ...
Guillaume d'Orange, car c'?tait lui, plissa son front d'une fa?on sinistre, et r?pondit:
--Colonel van Deken, allez, je vous prie, trouver mes troupes afin qu'elles prennent les armes �� tout ?v?nement. --Mais laisserai-je donc monseigneur seul ici, en face de ces assassins? --Ne vous inqui?tez pas de moi plus que je ne m'en inqui?te, dit brusquement le prince. Allez.
L'officier partit avec une rapidit? qui t?moignait bien moins de son ob?issance que de la joie de n'assister point au hideux assassinat du second des fr?res. Il n'avait point ferm? la porte de la chambre que Jean, qui par un effort supr?me avait gagn? le perron d'une maison situ?e presque en face de celle o�� ?tait cach? son ?l?ve, chancela sous les secousses qu'on lui imprimait de dix c��t?s �� la fois en disant:
--Mon fr?re, o�� est mon fr?re? --Un de ces furieux lui jeta bas son chapeau d'un coup de poing.
Un autre lui montra le sang qui teignait ses mains, celui-l�� venait d'?ventrer Corneille, et il accourait pour ne point perdre l'occasion d'en faire autant au grand pensionnaire, tandis que l'on tra?nait au gibet le cadavre de celui qui ?tait d?j�� mort. Jean poussa un g?missement lamentable et mit une de ses mains sur ses yeux.
--Ah! tu fermes tes yeux, dit un des soldats de la garde bourgeoise, eh bien! je vais te les crever, moi!
Et il lui poussa dans le visage un coup de pique sous lequel le sang jaillit.
--Mon fr?re! cria de Witt essayant de voir ce qu'?tait devenu Corneille, �� travers le flot de sang qui l'aveuglait, mon fr?re! --Va le rejoindre! hurla un autre assassin en lui appliquant son mousquet sur la tempe et en l?chant la d?tente.
Mais le coup ne partit point. Alors le meurtrier retourna son arme, et la prenant �� deux mains par le canon il assomma Jean de Witt d'un coup de crosse. Jean de Witt
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