plus g?n?reux et le plus habile citoyen des sept Provinces Unies. J'aime la gloire de mon pays; j'aime votre gloire surtout, mon fr?re, et je me suis bien gard? de br�Cler cette correspondance. --Alors nous sommes perdus pour cette vie terrestre, dit tranquillement l'ex-grand pensionnaire en s'approchant de la fen?tre. --Non, bien au contraire, Jean, et nous aurons �� la fois le salut du corps et la r?surrection de la popularit?. --Qu'avez-vous donc fait de ces lettres, alors? --Je les ai confi?es �� Corn?lius van Baerle, mon filleul, que vous connaissez et qui demeure �� Dordrecht. --Oh! le pauvre gar?on, ce cher et na?f enfant! ce savant qui, chose rare, sait tant de choses et ne pense qu'aux fleurs qui saluent Dieu, et qu'�� Dieu qui fait na?tre les fleurs! Vous l'avez charg? de ce d?p��t mortel; mais il est perdu, mon fr?re, ce pauvre cher Corn?lius! --Perdu? --Oui, car il sera fort ou il sera faible. S'il est fort, il se vantera de nous; s'il est faible, il aura peur de notre intimit?; s'il est fort, il criera le secret; s'il est faible, il le laissera prendre. Dans l'un et l'autre cas, Corneille, il est donc perdu et nous aussi. Ainsi donc, mon fr?re, fuyons vite, s'il en est temps encore.
Corneille se souleva sur son lit et, prenant la main de son fr?re, qui tr?ssaillit au contact des linges:
--Est-ce que je ne connais pas mon filleul? dit-il; est-ce que je n'ai pas appris �� lire chaque pens?e dans la t?te de van Baerle, chaque sentiment dans son ?me? Tu me demandes s'il est faible, tu me demandes s'il est fort? Il n'est ni l'un ni l'autre, mais qu'importe ce qu'il soit! Le principal est qu'il gardera le secret attendu que ce secret, il ne le connait m?me pas. Jean se retourna surpris. --Oh! continua Corneille avec son doux sourire, je vous le r?p?te, mon fr?re, van Baerle ignore la nature et la valeur du d?p��t que je lui ai confi?. --Vite alors! s'?cria Jean, puisqu'il en est temps encore, faisons-lui passer l'ordre de br�Cler la liasse. --Par qui faire passer cet ordre? --Par mon serviteur Craeke, qui devait nous accompagner �� cheval et qui est entr? avec moi dans la prison pour vous aider �� descendre l'escalier. --R?fl?chissez avant de br�Cler ces titres glorieux, Jean. --Je r?fl?chis qu'avant tout, mon brave Corneille, il faut que les fr?res de Witt sauvent leur vie pour sauver leur renomm?e. Nous morts, qui nous d?fendra, Corneille? Qui nous aura seulement compris? --Vous croyez donc qu'ils nous tueraient s'ils trouvaient ces papiers?
Jean, sans r?pondre �� son fr?re, ?tendit la main vers le Buytenhoff, d'o�� s'?lan?aient en ce moment des bouff?es de clameurs f?roces.
--Oui, oui, dit Corneille, j'entends bien ces clameurs, mais ces clameurs, que disent-elles?
Jean ouvrit la fen?tre.
--Mort aux tra?tres! hurlait la populace. --Entendez-vous maintenant, Corneille? --Et les tra?tres, c'est nous! dit le prisonnier en levant ces yeux au ciel et en haussant ces ?paules. --C'est nous, r?peta Jean de Witt. --O�� est Craeke? --A la porte de votre chambre, je pr?sume. --Faites-le entrer, alors. --Jean ouvrit la porte; le fid?le serviteur attendait en effet sur le seuil. --Venez, Craeke, et retenez bien ce que mon fr?re va vous dire. --Oh! non, il ne suffit pas de dire, Jean; il faut que j'?crive, malheureusement. --Et pourquoi cela? --Parce que van Baerle ne rendra pas ce d?p��t ou ne le br�Clera pas sans un ordre pr?cis. --Mais pourrez-vous ?crire, mon cher ami? demanda Jean, �� l'aspect de ces pauvres mains toutes br�Cl?es et toutes meurtries. --Oh! si j'avais plume et encre, vous verriez! dit Corneille. --Voici un crayon, au moins. --Avez-vous du papier? car on ne m'a rien laiss? ici. --Cette Bible. D?chirez-en la premi?re feuille. --Bien. --Mais votre ?criture sera illisible. --Allons donc! dit Corneille en regardant son fr?re. Ces doigts qui ont r?sist? aux m?ches du bourreau, cette volont? qui a dompt? la douleur, vont s'unir d'un commun effort, et, soyez tranquille, mon fr?re, la ligne sera trac?e sans un seul tremblement.
Et en effet, Corneille prit le crayon et ?crivit. Alors on put voir sous le linge blanc transpara?tre les gouttes de sang que la pression des doigts sur le crayon chassait des chairs ouvertes. La sueur ruisselait des tempes du grand pensionnaire. Corneille ?crivit:
"Cher filleul, Br�Cle le d?p��t que je t'ai confi?, br�Cle-le sans le regarder, sans l'ouvrir, afin qu'il te demeure inconnu �� toi-m?me. Les secrets du genre de celui qu'il contient tuent les d?positaires. Br�Cle, et tu auras sauv? Jean et Corneille. Adieu et aime-moi. Corneille de Witt. 20 ao�Ct 1672."
Jean, les larmes aux yeux, essuya une goutte de ce noble sang qui avait tach? la feuille, la remit �� Craeke avec une derni?re recommandation, et revint �� Corneille, que la souffrance venait de p?lir encore, et qui semblait pr?s
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