porte. --Ah! dit le portier, voyez-vous
l…-bas? --Passe au galop … travers ce groupe, cria Jean au cocher, et
prends la rue … gauche; c'est notre seul espoir.
Le groupe dont parlait Jean avait eu pour noyau les trois hommes que
nous avons vus suivre des yeux la voiture, et qui depuis ce temps et
pendant que Jean parlementait avec le portier s'‚tait grossi de sept ou
huit nouveaux individus. Ces nouveaux arrivants avaient ‚videmment
des intentions hostiles … l'endroit du carrosse. Aussi, voyant les
chevaux venir sur eux au grand galop, se mirent-ils en travers de la rue
en agitant leurs bras arm‚s de bƒtons et criant:
--Arrˆte! arrˆte!
La voiture et les hommes se heurtŠrent enfin. Les frŠres de Witt ne
pouvaient rien voir, enferm‚s qu'ils ‚taient dans la voiture. Mais ils
sentirent les chevaux se cabrer, puis ‚prouvŠrent une violente secousse.
Il y eut un moment d'h‚sitation et de tremblement dans toute la machine
roulante, qui s'emporta de nouveau, passant sur quelque chose de rond
et de flexible qui semblait ˆtre le corps d'un homme renvers‚, et
s'‚loigna au milieu des blasphŠmes.
--Oh! dit Corneille, je crains bien que nous n'ayons fait un malheur.
--Au galop! au galop! cria Jean. --Mais, malgr‚ cet ordre, tout … coup
le cocher s'arrˆta. --Eh bien? demanda Jean. --Voyez-vous? dit le
cocher.
Jean regarda.
Toute la populace du Buytenhoff apparaissait … l'extr‚mit‚ de la rue
que devait suivre la voiture.
--Arrˆte et sauve-toi, dit Jean au cocher; il est inutile d'aller plus loin;
nous sommes perdus. --Les voil…! les voil…! criŠrent ensemble cinq
cents voix. --Oui, les voil…, les traŒtres! les meurtriers! les assassins!
r‚pondirent ceux qui couraient aprŠs la voiture.
Tout … coup le carrosse s'arrˆta. Un mar‚chal venait, d'un coup de
massue, d'assommer un des deux chevaux, qui tomba dans les traits. En
ce moment le volet d'une fenˆtre s'entr'ouvrit et l'on put voir le visage
livide et les yeux sombres d'un jeune homme se fixant sur le spectacle
qui se pr‚parait. DerriŠre lui apparaissait la tˆte d'un officier presque
aussi pƒle que la sienne.
--Oh! mon Dieu! mon Dieu! monseigneur, que va-t-il se passer?
murmura l'officier. --Quelque chose de terrible, bien certainement,
r‚pondit celui-ci. --Oh! voyez-vous, monseigneur, ils tirent le grand
pensionnaire de la voiture, ils le battent, ils le d‚chirent. --En v‚rit‚, il
faut que ces gens-l… soient anim‚s d'une bien violente indignation, fit
le jeune homme du mˆme ton impassible qu'il avait conserv‚ jusqu'alors.
--Et voici Corneille qu'ils tirent … son tour du carrosse, Corneille d‚j…
tout bris‚, tout mutil‚ par la torture. Oh! voyez donc, voyez donc. --Oui,
en effet, c'est bien Corneille.
L'officier poussa un faible cri et d‚tourna la tˆte. C'est que, sur le
dernier degr‚ du marchepied, avant mˆme qu'il eut touch‚ la terre,
Corneille de Witt venait de recevoir un coup de barre de fer qui lui
avait bris‚ la tˆte. Il se releva cependant, mais pour retomber aussit“t.
Puis des hommes le prenant par les pieds, le tirŠrent dans la foule, au
milieu de laquelle on put suivre le sillage sanglant qu'il y tra‡ait et qui
se refermait derriŠre lui avec de grandes hu‚es pleines de joie. Le jeune
homme devint plus pƒle encore, ce qu'on e–t cru impossible, et son oeil
se voila un instant sous sa paupiŠre. L'officier vit ce mouvement de
piti‚, le premier que son s‚vŠre compagnon e–t laiss‚ ‚chapper, et
voulant profiter de cet amollissement de son ƒme:
--Venez, venez, monseigneur, dit-il, car voil… qu'on va assassiner
aussi le grand pensionnaire.
Mais le jeune homme avait d‚j… ouvert les yeux.
--En v‚rit‚! dit-il. Ce peuple est implacable. Il ne fait pas bon de le
trahir. --Monseigneur, dit l'officier, est-ce qu'on ne pourrait pas sauver
ce pauvre homme, qui a ‚lev‚ Votre Altesse? S'il y a un moyen, dites-le,
et duss‚-je y perdre la vie ...
Guillaume d'Orange, car c'‚tait lui, plissa son front d'une fa‡on sinistre,
et r‚pondit:
--Colonel van Deken, allez, je vous prie, trouver mes troupes afin
qu'elles prennent les armes … tout ‚v‚nement. --Mais laisserai-je donc
monseigneur seul ici, en face de ces assassins? --Ne vous inqui‚tez pas
de moi plus que je ne m'en inquiŠte, dit brusquement le prince. Allez.
L'officier partit avec une rapidit‚ qui t‚moignait bien moins de son
ob‚issance que de la joie de n'assister point au hideux assassinat du
second des frŠres. Il n'avait point ferm‚ la porte de la chambre que Jean,
qui par un effort suprˆme avait gagn‚ le perron d'une maison situ‚e
presque en face de celle o— ‚tait cach‚ son ‚lŠve, chancela sous les
secousses qu'on lui imprimait de dix c“t‚s … la fois en disant:
--Mon frŠre, o— est mon frŠre? --Un de ces furieux lui jeta bas son
chapeau d'un coup de poing.
Un autre lui montra le sang qui teignait ses mains,
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