La Tosca | Page 8

Victorien Sardou
fréquenter. Car alors, il me défendrait de t'aimer!... Je lui répondrais!... Dieu sait ce que je lui répondrais... Un vrai scandale!... Mais mon compte est bon, va!... Je suis en état constant de péché mortel, et si je venais à mourir subitement...
MARIO.--L'enfer!
FLORIA.--Encore si c'était avec toi!...
MARIO.--Bon, qui sait!...
FLORIA, =rassurée.=--Oui, je crois que ?a s'arrangera tout de même...
MARIO.--Mais oui!... va...
FLORIA.--Grace à la Madone, je suis très bien avec la Madone!
MARIO.--Ah! alors, continuons!
=On frappe à la porte.=
FLORIA.--Chut!...
MARIO.--Quoi?
FLORIA.--On a frappé.
LUCIANA, =dehors.=--Madame, madame!
FLORIA, =descendant.=--C'est ma femme de chambre... C'est toi, Luciana?
LUCIANA.--Oui, madame.
FLORIA, =à Mario.=--Ouvre.
=Mario ouvre.=

Scène V
LES MêMES, LUCIANA
FLORIA.--Qu'est-ce que c'est?... Quoi!
LUCIANA.--Une lettre que l'on vient d'apporter à la maison de la part du maestro.
=Elle cherche la lettre sur elle.=
FLORIA.--Paisiello? Dieu, que c'est aga?ant de ne pas être un moment tranquille. =(Mario, pendant ce temps, fait à Angelotti un signe de patience.)= Allons, donne donc? Dépêche-toi!
LUCIANA.--La voici!
FLORIA.--Qu'est-ce qu'il me veut encore, ce vieux fou? =(Lisant.)= Divine Tosca. Son Excellence monsieur le duc d'Aseoli me communique une nouvelle qui vous comblera de joie. Sa Majesté vient de recevoir une lettre du général Mêlas qui lui annonce que, le 14 courant, il a livré bataille à l'armée fran?aise commandée par le général Bonaparte, dans la plaine de Marengo, près d'Alexandrie...
MARIO, =vivement.=--Ah! donne, je t'en prie... =(Il prend la lettre et lit de fa?on à être entendu par Angelotti.)= ...Le combat commencé à l'aube s'est prolongé avec un grand acharnement jusqu'à trois heures de l'après-midi et s'est terminé par la déroute complète de l'armée fran?aise... C'est une victoire éclatante pour nos armes... =(Il repasse la lettre à Floria.)= Tiens, achève.
=Il va s'asseoir, attristé, à gauche.=
FLORIA, =reprenant la lecture.=--...En conséquence, Sa Majesté vient d'ordonner des prières d'actions de graces dans toutes les églises. Et j'ai pensé qu'il était de notre devoir de nous associer à cette joie patriotique... L'excès même de mon enthousiasme échauffant ma verve, je viens d'improviser une cantate en l'honneur de cette victoire...
MARIO.--Charlatan! Il veut rentrer en grace et faire oublier sa Marseillaise parthénopéenne!
FLORIA, =continuant.=--...Ai-je besoin d'ajouter, diva, que cette improvisation ne peut avoir quelque mérite que si vous lui prêtez, ce soir, au Palais-Farnèse, l'appui de votre prestigieux talent?... Les choeurs et l'orchestre sont convoqués. On n'attend plus que vous. Une bonne répétition nous suffira avant l'heure du souper. Venez sans retard, je vous en prie, et vous comblerez de joie le plus ardent, le plus dévoué, le plus! et c?tera! Vieux singe, va...
Le diable l'emporte avec sa cantate!
MARIO, =vivement.=--Ah! tu ne peux pas refuser!
FLORIA.--Eh! non... Pour la reine!... Mais comme c'est gai de te laisser là pour aller répéter sa cantate!... Qu'est-ce que tu vas faire sans moi?
=Elle s'apprête à partir.=
MARIO.--Je travaillerai jusqu'à la nuit.
FLORIA.--Et après?
MARIO.--J'irai souper et coucher à la villa.
FLORIA.--C'est cela, oui!... Et demain matin?
MARIO.--Demain matin, tu me verras à midi.
FLORIA.--Pourquoi si tard?
MARIO.--Pour te laisser dormir.
FLORIA.--Je n'ai pas besoin de dormir tant que ?a! Je veux que tu me réveilles.
MARIO.--C'est convenu. Allons, à demain.
FLORIA, =prête à partir, s'arrêtant.=--Attends!...
MARIO.--Quoi?
FLORIA, =montrant, le tableau.=--Oh! je t'en prie! Fais-lui des yeux noirs... Cela t'est bien égal, n'est-ce pas? Elle sera tout aussi Madeleine avec des yeux noirs...
MARIO.--Mon Dieu, si tu y tiens?
FLORIA.--Oui, j'y tiens beaucoup. Comme cela tu ne penseras plus à l'Attavanti.
MARIO.--Alors, c'est promis...
FLORIA, =l'embrassant.=--Tiens! Je t'adore!
MARIO,--Oh! devant la Madone!
FLORIA.--Oh! Elle est si bonne... Elle ne m'en veut pas... A demain, trésor adoré!
MARIO.--A demain, amour.
=Floria sort avec Luciana.=
Scène VI
MARIO, ANGELOTTI
=Angelotti sort de, la chapelle dès que la porte est refermée et les verrous tirés.=
MARIO.--Ah! mon ami, quelle nouvelle!... Cette bataille?
ANGELOTTI.--Hélas! oui! Ceci nous achève!...
MARIO.--Enfin, pensons à vous... On va rouvrir l'église avant l'heure pour les prières ordonnées... Toute la ville doit être en émoi... Si nous en profitions pour sortir de la ville avant la fermeture des portes?...
ANGELOTTI.--Sans attendre Trebelli, soit!
MARIO.--Alors...
=Coup de canon au lointain.=
ANGELOTTI, =saisi.=--Ah!
MARIO.--Le signal!... On sait votre évasion!...
ANGELOTTI.--Attendez!... C'est peut-être une salve pour cette victoire.
=Ils prêtent l'oreille.=
MARIO.--Non!... Vous voyez!... Plus rien!... Un seul coup. C'est bien votre fuite que l'on signale!... Il n'y a plus à rester ici... Co?te que co?te, partons... Vite à ce déguisement... Dès que vous serez prêt, sortez par l'autre grille, dans l'ombre, faites le tour de l'église par ce c?té... Moi, je gagnerai par l'autre la grande porte où je vous attendrai, et nous sortirons audacieusement, c'est le mieux!... Allez, allez... Voici le sacristain, et vite, le danger nous talonne!
=Angelotti rentre dans la chapelle dont il ferme la grille et où il dispara?t. Mario saute sur son estrade.=
Scène VII
MARIO, EUSEBE, puis GENNARINO
EUSèBE, =paraissant par la gauche, au fond, ses clefs à la main, et allant rouvrir les verrous à droite.=--Votre Excellence a entendu?
MARIO.--Quoi?
EUSèBE.--Le coup de canon!
MARIO, =indifféremment.=--Ah! oui, n'est-ce pas pour fêter cette victoire?
EUSèBE.--Non! Non! C'est quelque jacobin qui se sera évadé du chateau Saint-Ange...
MARIO, =de même.=--Peut-être...
GENNARINO, =entrant vivement par la droite, essoufflé.= S?rement, Excellence!... Angelotti s'est enfui!
EUSèBE.--Ah! la canaille!
GENNARINO.--On crie sa fuite par les rues et
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