femmes si jolies!
MARIO.--Si tu es jalouse aussi des femmes que je peins!
FLORIA.--C'est que je sais bien ce qui se passe entre elles et vous!
MARIO, =riant=--Ah! bon!... Et qu'est-ce qu'il se passe?...
FLORIA.--Vous n'avez pas plut?t fait deux grands yeux à cette créature que vous vous dites: ?Ah! les beaux yeux!? Et une petite bouche! ?Oh! la jolie bouche!... On y mordrait!? Tant qu'à la fin, c'est elle que vous admirez, elle que vous aimez, et ce n'est plus moi!...
MARIO, =riant tout en travaillant.=--Ah! bien!
FLORIA.--Et puis, avec quoi fabriquez-vous ces créatures-là? Avec vos souvenirs... ou vos désirs!... Des yeux que vous avez beaucoup regardés... Des lèvres qui vous ont dit: ?Je t'aime!? Ou à qui vous voudriez le faire dire!... A qui peuvent-ils bien être ces cheveux-là,--et ces yeux d'un bleu?... Oh! je les connais s?rement!... Je les ai certainement vus quelque part!
=Tout en parlant elle est montée sur l'échafaudage.=
MARIO, =de même.=--C'est probable!...
FLORIA, =vivement.=--Ah! c'est donc une vraie femme... Elle existe?...
MARIO.--Cherche!
FLORIA.--J'y suis!... L'Attavanti!...
MARIO.--Oui!... T'y voilà!
FLORIA.--Tu la connais donc?... Tu la vois donc?... Où la vois-tu?... Chez elle!... Ici!... Chez toi!... Ne mens pas.
MARIO.--Mais...
FLORIA.--Mais parlez donc, répondez donc!
MARIO.--Laisse-moi parler!... Je l'ai vue ici, une seule fois, hier, par hasard?
FLORIA.--Oh! par hasard!... fait hasard est admirable!
MARIO.--Par hasard!... Elle est entrée tandis que j'étais à peindre; elle s'est agenouillée là, comme toi. A fait sa prière, comme toi. Et, avec ses grands yeux de pervenche levés au ciel... et ses beaux cheveux blonds!...
FLORIA.--Ses beaux cheveux, c'est bien cela!...
MARIO, =continuant tranquillement.=--Dorés encore par le soleil couchant, elle était si parfaitement la Madeleine rêvée qu'en trois coups de pinceau je l'ai fixée là, sans qu'elle s'en soit doutée et que je lui aie même adressé la parole.
FLORIA.--Et pourquoi cette femme, je vous prie, et pas moi?... Je ne ferais pas une Madeleine aussi dorée qu'elle?
MARIO, =gaiement.=--Ah! bien là, franchement, tu n'as pas l'air d'une sainte, surtout en ce moment.
FLORIA.--Et elle donc?... Ah! elle est bonne la marquise, avec son auréole!... Une farceuse qui trompe son mari et se promène partout avec son amant!...
MARIO.--Pardon!... Ce n'est pas mi amant; mais un sigisbée, accepté comme tel, par tout le monde, et par le mari lui-même... Donc, il n'est pas trompé.
FLORIA.--Eh bien, je n'ai pas de mari, moi, ni de sigisbée!... J'ai un amant que j'aime uniquement et qui est tout pour moi. C'est plus honnête...
MARIO, =tendrement=.--Aussi, je t'adore!
FLORIA.--Cette effrontée qui vient là poser tout exprès!
MARIO.--Allons, allons, tu en folle. Laissons la marquise.
FLORIA.--Si elle ne ferait pas mieux de convertir son scélérat de frère.
MARIO.--Oh! scélérat!
FLORIA.--Oh! naturellement, tu le défendras... Un ennemi de Dieu, du roi et du pape!... Un démagogue, un athée!
MARIO, =jetant un coup d'oeil vers Angelotti, par-dessus l'épaule de Floria.=--Oh! là! là!
FLORIA, =assise sur la dernière marche.=--Oui, oh! Oui. Oh! tu plaisantes... Mais c'est bien cela qui me désole. C'est que tu aies de si mauvais sentiments, avec, un si bon coeur. Un homme qui lit Voltaire!... Et cet autre encore! dont tu m'as donné un-livre, une horreur!...
MARIO.--La Nouvelle Hélo?se?
FLORIA.--Le père Caraffa, mon confesseur, à qui j'en ai parlé, m'a dit: ?Mon enfant, br?lez vite ce livre infame, ou c'est lui qui vous br?lera!?
MARIO, =vivement.=--Et tu l'as br?lé?...
FLORIA.--Non!
MARIO.--Ah! tant mieux. J'y tiens. Un cadeau de Rousseau à mon père.
FLORIA.--Et je l'ai lu!... Et il ne me br?le pas du tout ce livre, mais là, pas du tout!...
MARIO, =s'asseyant près d'elle sur l'échafaudage, les jambes pendantes.=--Parbleu!
FLORIA.--Des bavards, ces gens-là!... Ils parlent tout le temps et ne s'aiment jamais!
MARIO.--Alors, le père Caraffa se mêle aussi de tes lectures?
FLORIA.--Naturellement, quand je lui avoue mes péchés.
MARIO.--Et les miens!
FLORIA.--Ce sont les mêmes!... Et, à ce propos, si tu savais ce qu'il m'a dit de toi!...
MARIO.--Oh! je m'en doute bien... Je suis un sans-culotte, et un buveur de sang!
FLORIA.--Ah! surtout un impie,--et j'en suis assez malheureuse. Ce n'est pas faute de prier Dieu de toute mon ame pour le salut de la tienne.
MARIO, =la serrant contre lui.=--Pauvre bon petit coeur.
FLORIA.--D'autant que le Padre me l'a formellement déclaré: notre liaison est abominable.
MARIO.--Oh!
FLORIA.--Abominable!... Je l'entends encore: ?Mon enfant, si vous voulez que le ciel l'excuse, faites qu'elle profite à la conversion de votre ami. Ramenez à nous cette brebis égarée et Dieu fermera les yeux sur votre faute. L'amour sacré purifiera l'amour profane. Et d'abord obtenez de lui qu'il sacrifie cet insigne révolutionnaire qu'il étale effrontément par les rues avec des airs de défi!...?
MARIO.--Quel insigne?...
FLORIA.--Tes moustaches.
MARIO.--Oh!...
FLORIA, =avec douleur.=--Ah! je? lui avais bien promis de te les faire couper!
MARIO.--Tu n'en as pas soufflé mot.
FLORIA, =de même.=--Jamais!
MARIO.--Pourquoi?
FLORIA.--C'est horrible à dire... Elles te vont si bien!
MARIO.--Ah! Alors!...
FLORIA.--...je t'ai aimé tout de suite comme cela. Je ne peux pas me faire à l'idée de t'aimer autrement, avec un menton ras, comme celui du père Caraffa!... Seulement, voilà bien le chatiment... Je n'ose plus me confesser et lui avouer que les moustaches sont toujours là, parce que j'ai plaisir à les
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