mon père ayant fait scandale en son temps, le fait seul que je suis élève du conventionnel David, ma fa?on de vivre qui n'a rien d'un san-fédiste, mes vêtements et jusqu'à l'air de mon visage, tout est pour me signaler à la police. Ici, comme à Naples, vous le savez, celui-là est mal noté qui supprime la perruque poudrée, la culotte, les souliers à boucles, et s'habille et se coiffe à la fran?aise. Mes cheveux à la Titus sont d'un libéralisme outré, ma barbe est libre penseuse, mes bottes sont révolutionnaires. J'aurais déjà eu maille à partir avec le hideux Scarpia si je ne m'étais avisé d'une ruse...
ANGELOTTI.--Qui est?...
MARIO.--J'ai sollicité du chapitre de cette église l'autorisation de peindre ce mur-là gratuitement.
ANGELOTTI.--Oh! ils ont accepté?
MARIO.--Vous pensez!... Ce pieux dévouement a conjuré l'orage, et peut-être lui devrai-je ma sécurité jusqu'au départ de Floria pour Venise où elle est engagée la saison prochaine. Là, du moins, nous pourrons nous aimer sans crainte.
ANGELOTTI.--Et plus librement, sans doute...
MARIO.--Oh! ma foi, nous n'en faisons pas mystère. Quand elle n'est pas chez moi, au palais Cavaradossi, c'est moi qui suis chez elle. Ici même, elle vient me retrouver en plein jour, et vous l'auriez déjà entendue frapper à cette porte si elle n'était à quelque répétition pour le concert de ce soir. Cela se trouve bien, du reste...
ANGELOTTI.--Pourquoi?
MARIO.--Sa présence contrarierait nos projets!...
ANGELOTTI.--Bon; vous en seriez quitte pour lui dire qui je suis...
MARIO.--Oh! que non pas!... Et que je ne suis pas pour associer les femmes à ces sortes d'aventures!...
ANGELOTTI.--Même celle-là qui vous est si dévouée?
MARIO.--Même celle-là!... Son concours nous est inutile, n'est-ce pas?... Biffons l'inutile. Si petit que soit le risque à lui parler, il est moindre encore à ne lui rien dire, et nous supprimons du coup les questions, les inquiétudes, la fièvre, les nerfs, etc... surtout sa mauvaise humeur à me voir protéger un scélérat tel que vous. Car, pour elle, royaliste, vous n'êtes rien de mieux!... Et puis, supposons la fuite impossible; que votre séjour à Rome se prolonge; un mot maladroit peut tout perdre. Pensez surtout qu'elle est dévote, que le confessionnal est un terrible confident, et que la seule femme vraiment discrète est celle qui ne sait rien... et encore!...
=On frappe au dehors.=
FLORIA, =dehors=.--Mario!
MARIO.--C'est elle! =(Haut)= Oui! Oui! =(A Angelotti.)= Cachez-vous!... J'abrégerai sa visite s'il le faut...
=Angelotti se réfugie dans la chapelle.=
FLORIA, =frappant toujours.=--Mais ouvre donc!...
MARIO, =saisissant sa palette et ses pinceaux.=--Mais attends... Je viens!... Je viens!
=Il tire les verrous et ouvre.=
Scène IV
MARIO, FLORIA
FLORIA, =entrant avec une gerbe de fleurs.=--Voilà des cérémonies pour m'ouvrir!...
MARIO, =un pinceau dans les dents.=--Tu ne me donnes pas le temps de descendre.
FLORIA, =regardant partout d'un air soup?onneux.=--Tu tires donc les verrous à présent?
MARIO.--Oui, le père Eusèbe aime mieux cela.
FLORIA.--Le petit n'est pas là?...
MARIO. =nettoyant ses pinceaux.=--Non, je lui ai donné congé... =(Floria remonte subitement vers le fond.)= Qu'est-ce que tu regardes?
FLORIA,--A qui donc parlais-tu?...
MARIO.--Moi!... Je ne parlais pas!... Je fredonnais... Tu m'as entendu fredonner...
FLORIA.--Parler!... Tu faisais comme cela, ch... ch... ch... ch...
MARIO.--Quelle folie!... Qui veux-tu qui soit ici à cette heure?...
FLORIA.--Est-ce qu'on sait?... Quelque vieille dévote amoureuse de toi.
MARIO.--Oh!... Déjà?... Une scène par cette chaleur... Attends au moins la fra?cheur du soir... =(Il lui prend les mains et les baise tendrement.)= Quelle moisson de fleurs!
FLORIA.--Pour la Madone... J'ai tant à me faire pardonner.
MARIO, =continuant.=--Par exemple?...
FLORIA.--Par exemple ce que tu fais là.
MARIO.--Où est le mal?...
FLORIA.--Oh! si, sous ses yeux... =(Baissant la voix.)= Laisse-moi au moins la saluer avant...
MARIO, =de même, l'imitant.=--Oh! c'est trop juste...
=Floria remonte vers le pilier où est la Madone, dépose ses fleurs dans la vasque et s'agenouille, le dos tourné à la rampe. Mario en profite pour échanger un signe d'intelligence avec Angelotti qu'on entrevoit une seconde derrière la grille.=
FLORIA, =redescendant et lui rendant ses mains, plus à l'aise, à haute voix.=--Voilà qui est fait!
MARIO, =baisant les doigts.=--Alors, je peux?... Elle permet!...
FLORIA, =très convaincue.=--Oui... Ah! je suis bien contrariée, va.
MARIO.--Parce que?...
FLORIA.--Nous ne nous verrons plus jusqu'à demain.
MARIO.--Pourquoi?
FLORIA.--Cette fête!...
MARIO.--Au Palais Farnèse?...
FLORIA.--Oui... Il y a concert, et tu penses bien que j'y ai la plus grosse part.
MARIO.--Bon, mais après?...
FLORIA.--Il y à bal.
MARIO.--Et il faut que tu danses?
FLORIA.--Non!... Mais que je soupe... La reine m'a fait dire par le duc d'Aseoli qu'elle me verrait avec plaisir à la, place qui m'est réservée.
MARIO.--Quelle faveur!
FLORIA.--Oh! oui... Elle est très bonne pour moi. Or, on ne soupera qu'au petit jour, et nous ne nous verrons pas avant midi.
MARIO, =légèrement=.--En effet!...
FLORIA.--Tu en prends facilement ton parti...
MARIO.--Ah! par exemple...
FLORIA.--Mais oui. C'est dr?le!... Vous acceptez cela, avec Une philosophie!
MARIO.--Dis que je me résigne...
FLORIA.--Oh! les hommes!... Ah! j'ai bien tort de vous tant aimer,--et surtout de vous le laisser voir.
MARIO, =reprenant sa palette.=--Oh!
FLORIA, =regardant son tableau.=--Qu'est-ce que c'est encore que cette femme-là?
MARIO, =cherchant derrière lui.=--Cette femme?
FLORIA.--Là, là, sur le mur?
MARIO.--Ah! la blonde?
FLORIA.--Non!... La rousse?
MARIO.--C'est Marie-Magdeleine!... Comment la trouves-tu?
FLORIA.--Trop jolie.
MARIO.--Trop?
FLORIA.--Je n'aime pas que vous fassiez les
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