FLORIA, =redescendant et lui rendant ses mains, plus à l'aise, à haute
voix.=--Voilà qui est fait!
MARIO, =baisant les doigts.=--Alors, je peux?... Elle permet!...
FLORIA, =très convaincue.=--Oui... Ah! je suis bien contrariée, va.
MARIO.--Parce que?...
FLORIA.--Nous ne nous verrons plus jusqu'à demain.
MARIO.--Pourquoi?
FLORIA.--Cette fête!...
MARIO.--Au Palais Farnèse?...
FLORIA.--Oui... Il y a concert, et tu penses bien que j'y ai la plus
grosse part.
MARIO.--Bon, mais après?...
FLORIA.--Il y à bal.
MARIO.--Et il faut que tu danses?
FLORIA.--Non!... Mais que je soupe... La reine m'a fait dire par le duc
d'Aseoli qu'elle me verrait avec plaisir à la, place qui m'est réservée.
MARIO.--Quelle faveur!
FLORIA.--Oh! oui... Elle est très bonne pour moi. Or, on ne soupera
qu'au petit jour, et nous ne nous verrons pas avant midi.
MARIO, =légèrement=.--En effet!...
FLORIA.--Tu en prends facilement ton parti...
MARIO.--Ah! par exemple...
FLORIA.--Mais oui. C'est drôle!... Vous acceptez cela, avec Une
philosophie!
MARIO.--Dis que je me résigne...
FLORIA.--Oh! les hommes!... Ah! j'ai bien tort de vous tant aimer,--et
surtout de vous le laisser voir.
MARIO, =reprenant sa palette.=--Oh!
FLORIA, =regardant son tableau.=--Qu'est-ce que c'est encore que
cette femme-là?
MARIO, =cherchant derrière lui.=--Cette femme?
FLORIA.--Là, là, sur le mur?
MARIO.--Ah! la blonde?
FLORIA.--Non!... La rousse?
MARIO.--C'est Marie-Magdeleine!... Comment la trouves-tu?
FLORIA.--Trop jolie.
MARIO.--Trop?
FLORIA.--Je n'aime pas que vous fassiez les femmes si jolies!
MARIO.--Si tu es jalouse aussi des femmes que je peins!
FLORIA.--C'est que je sais bien ce qui se passe entre elles et vous!
MARIO, =riant=--Ah! bon!... Et qu'est-ce qu'il se passe?...
FLORIA.--Vous n'avez pas plutôt fait deux grands yeux à cette créature
que vous vous dites: «Ah! les beaux yeux!» Et une petite bouche! «Oh!
la jolie bouche!... On y mordrait!» Tant qu'à la fin, c'est elle que vous
admirez, elle que vous aimez, et ce n'est plus moi!...
MARIO, =riant tout en travaillant.=--Ah! bien!
FLORIA.--Et puis, avec quoi fabriquez-vous ces créatures-là? Avec
vos souvenirs... ou vos désirs!... Des yeux que vous avez beaucoup
regardés... Des lèvres qui vous ont dit: «Je t'aime!» Ou à qui vous
voudriez le faire dire!... A qui peuvent-ils bien être ces cheveux-là,--et
ces yeux d'un bleu?... Oh! je les connais sûrement!... Je les ai
certainement vus quelque part!
=Tout en parlant elle est montée sur l'échafaudage.=
MARIO, =de même.=--C'est probable!...
FLORIA, =vivement.=--Ah! c'est donc une vraie femme... Elle
existe?...
MARIO.--Cherche!
FLORIA.--J'y suis!... L'Attavanti!...
MARIO.--Oui!... T'y voilà!
FLORIA.--Tu la connais donc?... Tu la vois donc?... Où la vois-tu?...
Chez elle!... Ici!... Chez toi!... Ne mens pas.
MARIO.--Mais...
FLORIA.--Mais parlez donc, répondez donc!
MARIO.--Laisse-moi parler!... Je l'ai vue ici, une seule fois, hier, par
hasard?
FLORIA.--Oh! par hasard!... fait hasard est admirable!
MARIO.--Par hasard!... Elle est entrée tandis que j'étais à peindre; elle
s'est agenouillée là, comme toi. A fait sa prière, comme toi. Et, avec ses
grands yeux de pervenche levés au ciel... et ses beaux cheveux
blonds!...
FLORIA.--Ses beaux cheveux, c'est bien cela!...
MARIO, =continuant tranquillement.=--Dorés encore par le soleil
couchant, elle était si parfaitement la Madeleine rêvée qu'en trois coups
de pinceau je l'ai fixée là, sans qu'elle s'en soit doutée et que je lui aie
même adressé la parole.
FLORIA.--Et pourquoi cette femme, je vous prie, et pas moi?... Je ne
ferais pas une Madeleine aussi dorée qu'elle?
MARIO, =gaiement.=--Ah! bien là, franchement, tu n'as pas l'air d'une
sainte, surtout en ce moment.
FLORIA.--Et elle donc?... Ah! elle est bonne la marquise, avec son
auréole!... Une farceuse qui trompe son mari et se promène partout
avec son amant!...
MARIO.--Pardon!... Ce n'est pas mi amant; mais un sigisbée, accepté
comme tel, par tout le monde, et par le mari lui-même... Donc, il n'est
pas trompé.
FLORIA.--Eh bien, je n'ai pas de mari, moi, ni de sigisbée!... J'ai un
amant que j'aime uniquement et qui est tout pour moi. C'est plus
honnête...
MARIO, =tendrement=.--Aussi, je t'adore!
FLORIA.--Cette effrontée qui vient là poser tout exprès!
MARIO.--Allons, allons, tu en folle. Laissons la marquise.
FLORIA.--Si elle ne ferait pas mieux de convertir son scélérat de frère.
MARIO.--Oh! scélérat!
FLORIA.--Oh! naturellement, tu le défendras... Un ennemi de Dieu, du
roi et du pape!... Un démagogue, un athée!
MARIO, =jetant un coup d'oeil vers Angelotti, par-dessus l'épaule de
Floria.=--Oh! là! là!
FLORIA, =assise sur la dernière marche.=--Oui, oh! Oui. Oh! tu
plaisantes... Mais c'est bien cela qui me désole. C'est que tu aies de si
mauvais sentiments, avec, un si bon coeur. Un homme qui lit Voltaire!...
Et cet autre encore! dont tu m'as donné un-livre, une horreur!...
MARIO.--La Nouvelle Héloïse?
FLORIA.--Le père Caraffa, mon confesseur, à qui j'en ai parlé, m'a dit:
«Mon enfant, brûlez vite ce livre infâme, ou c'est lui qui vous brûlera!»
MARIO, =vivement.=--Et tu l'as brûlé?...
FLORIA.--Non!
MARIO.--Ah! tant mieux. J'y tiens. Un cadeau de Rousseau à mon
père.
FLORIA.--Et je l'ai lu!... Et il ne me brûle pas du tout ce livre, mais là,
pas du tout!...
MARIO,
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