La Tosca | Page 3

Victorien Sardou
la droite portant une étoffe.=--Je vous demande
pardon, père Eusèbe, je suis un peu en retard.
=Il monte sur son échafaudage et, pendant ce qui suit, drape son étoffe
sur un mannequin.=
EUSÈBE, =repliant son journal.=--J'en profitais, Excellence, pour
mettre Gennarino au courant des opérations militaires.
MARIO.--Oh! Alors!
EUSÈBE.--Tout est fermé... Je puis sortir, Excellence?
MARIO.--Oui, oui, et toi aussi, Gennarino... Je n'ai pas besoin de toi
avant la réouverture des portes.
GENNARINO.--Merci, Excellence!
EUSÈBE.--Votre-. Excellence aura la bonté de tirer les verrous.
=(Poussant Gennarino.)= Allons, passe devant, paresseux!
=Ils sortent par la droite. Eusèbe tire la porte...=
Scène III
MARIO, CESARE ANGELOTTI
=Mario resté seul, après avoir disposé son étoffe, descend de
l'échafaudage pour voir l'effet de loin. Puis tout en sifflotant, il remonte
sur l'échafaudage et corrige les plis de la draperie; après quoi il ôte sa

veste, pose son tabouret, et s'apprête à travailler... Dès qu'il est remonté
sur son estrade, Angelotti paraît derrière la grille de la chapelle à droite,
qu'il rouvre sans bruit et sort sans être vu par Mario qui lui tourne le
dos; puis il descend vers la porte, et prête l'oreille. A ce moment, Mario,
agenouillé pour choisir des vessies dans sa boîte, l'aperçoit, et, sans
changer de posture, l'interpelle.=
MARIO.--Tiens!... Quelqu'un?...
ANGELOTTI, =se retournant.=--Plus bas, je vous prié... Sommes-nous
seuls?
MARIO.--Oui. Ah ça, qui diable êtes-vous, avec ces allures de
malfaiteur?
ANGELOTTI,--Un malfaiteur, en effet, pour certaines gens, mais pour
vous, non... si j'en crois ce que disaient cet homme et cet enfant.
MARIO, =descendant de l'estrade.=--Tout cela ne m'apprend pas qui
vous été...
ANGELOTTI, =résolument.=--Eh bien, soit!... Advienne que pourra!
Je suis un prisonnier évadé du château Saint-Ange!
MARIO.--Vous?
ANGELOTTI, =vivement.=--Et mon nom ne vous est peut-être pas
inconnu. J'étais à Naples un des plus ardents défenseurs de la
République parthénopéenne, et, quand elle a succombé, je me suis
réfugié à Rome... où l'on m'a fait consul de la République romaine,
égorgée comme l'autre... Vous avez pu lire sur toutes les listes de
proscription ce nom qui est le mien: Cesare...
MARIO, =vivement.=--Angelotti?...
ANGELOTTI.--Oui!
MARIO, =courant à la porte et tirant les verrous.=--Ah! bon Dieu!...
Que ne le disiez-vous plus tôt?

ANGELOTTI.--Dieu soit loué! je ne me suis pas trompé sur votre
compte...
MARIO.--Ah! certes, non! Mais comment êtes-vous caché dans cette
église?...
ANGELOTTI.--Comment et pourquoi, je vous le dirai; mais, par grâce,
quelques gouttes de ce vin... Je n'ai rien pris depuis hier, et je n'en puis
plus de fatigue et de besoin.
=Il s'assied sur l'escabeau.=
MARIO, =allant vivement au panier, et lui versant à boire dans un
gobelet.=--Ah! Certes!... Tenez!... Buvez!... Buvez vite!
ANGELOTTI.--Merci! Ne retirez pas votre main... Quand on n'a plus
commerce depuis longtemps qu'avec des geôliers, des bourreaux et
autres animaux malfaisants, vous ne sauriez croire quel plaisir c'est de
serrer enfin dans sa main la main d'un homme. =(Il vide le gobelet.)=
Ce vin me ranime.
MARIO, =retournant à son panier.=--J'ai mieux à VOUS offrir!...
Heureusement. =(Il rapporte le panier qu'il vide en parlait.)= Et
comment avez-vous pu vous évader?
ANGELOTTI, =prêt à manger.=--Je n'y suis pour rien...
=(S'interrompant pour regarder autour de lui.)= Mais êtes-vous bien
sur?...
MARIO.--L'église est vide et close de toute part... Le sacristain
lui-même ne peut rentrer par cette porte que si j'en tire les verrous.
Nous avons devant nous deux bonnes heures de sécurité pour le moins.
ANGELOTTI, =mangeant.=--Je n'ai pas, vous disais-je, le mérite de
mon évasion, qui est l'oeuvre de ma soeur, la marquise Attavanti... La
connaissez-vous?
MARIO.--De vue seulement.

ANGELOTTI.--C'est elle qui a tout fait! Hier à la tombée du jour, un
porte-clefs gagné par elle, le nommé Trebelli, m'a apporté ces
vêtements dans mon cachot dont il m'a ouvert la porte après avoir
détaché mes fers. On travaille en ce moment, au château Saint-Ange, à
réparer les dégâts de l'occupation française. J'ai pu me mêler, à la sortie
des ouvrières, et gagner au large. Mais, à cette heure-là, les portes de la
ville sont fermées, de l'Angélus du soir à l'Angélus du matin. Me
réfugier chez ma soeur? Impossible... Le marquis Attavanti, mon
beau-frère, est un fanatique, du trône et de l'autel, qui serait homme à
me livrer lui-même au bourreau; non par méchanceté--l'imbécile n'est
pas méchant--mais par courtisanerie, par peur et conscience de son
devoir!... Où trouver asile pour la nuit?... Ma soeur avait prévu le cas.
Les Angelotti, fondateurs de cette église, y ont leur chapelle dont seuls
ils gardent la clef... elle y a déposé hier des vêtements de femme, le
voile, la mante, jusqu'à l'éventail, pour cacher mon visage au besoin, et
des rasoirs, des ciseaux, etc., tout ce qui peut servir à me rendre
méconnaissable; la clef m'a été remise par Trebelli, j'ai pu me glisser
dans cette chapelle avant la fermeture des portes de l'église, y passer
toute la nuit,
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