à l'heure des vêpres... et, depuis qu'il travaille à cette
chapelle, il ne s'est pas confessé une seule fois, pas même au saint jour
de Pâques.
GENNARINO.--C'est pourtant vrai, père Eusèbe.
EUSÈBE.--Un jacobin, Gennarino... un pur jacobin. Il a de qui tenir,
d'ailleurs. Le papa Cavaradossi passait déjà pour philosophe. Il avait
longtemps vécu à Paris, dans la fréquentation de l'abominable Voltaire,
et autres malfaiteurs de la même bande... Prends garde, Gennarino, que
le contact de l'impie ne te mène droit en enfer.
GENNARINO, =bâillant=.--Pensez-vous, père Eusèbe, que l'on y
dorme, en enfer?
EUSÈBE.--Si l'on y dort!...
GENNARINO.--Oui...
EUSÈBE.--Au fait... y dort-on? J'avoue, garçon, que ta question me
prend au dépourvu. Il faut que j'interroge sur ce point le père Caraffa,
lumière de notre Eglise... Toutefois, je pencherais plutôt pour
l'insomnie, qui est un supplice bien fait pour les damnés.
GENNARINO, =de même.=--Oh! Oui!
EUSÈBE.--Tu devrais au moins corriger un peu ce que la conduite de
ton maître a de répréhensible, en lui suggérant l'idée d'offrir pour le
sacrifice de la messe quelques flacons de ce marsala que je vois dans ta
corbeille.
GENNARINO.--Ce n'est pas du marsala,... c'est du gragnano.
EUSÈBE, =tirant le flacon et l'examinant.=--Tu m'étonnes, mon
enfant... A la couleur, je parierais pour du marsala.
=Il débouche et flaire=
GENNARINO.--Vous perdriez, père Eusèbe.
EUSÈBE, =versant le vin dans un gobelet.=--Parbleu, j'en aurai le
coeur net.
=Il l'avale d'un trait.=
GENNARINO, =sautant à terre.=--Hé là donc!
EUSÈBE, =faisant claquer sa langue.=--Tu as raison, mon fils,... c'est
du gragnano, et du meilleur.
GENNARINO, =lui arrachant le flacon.=--Et puis le patron dira que
c'est moi!
=Il rince le gobelet.=
EUSÈBE.--Bon!... Il est trop amoureux pour y prendre garde. =(Il
regarde l'heure à sa montre.)= D'ailleurs, il me doit bien ce
dédommagement pour le temps qu'il me fait perdre à ne pas dormir.
GENNARINO, =remettant le flacon et le gobelet dans la corbeille.=--Il
se sera arrêté à voir tes préparatifs de la fête au palais Farnèse.
EUSÈBE.--Cette fête-là n'est pas pour le charmer, puisqu'elle célèbre
une nouvelle victoire de nos armes sur les troupes françaises.
GENNARINO.--Quelle victoire?
EUSÈBE.--Bon Dieu! se peut-il que tu n'aies pas entendu parler de la
reddition de Gênes?
GENNARINO.--Vaguement.
EUSÈBE.--C'est-à-dire que le chevalier te laisse volontairement dans
l'ignorance de nos triomphes... Sache, donc, enfant, que les Français
sont battus sur tous les points, et que le général Masséna, enfermé dans
Gênes, a dû capituler et céder la ville aux troupes de Sa Majesté
Impériale.
GENNARINO.--Ah!
EUSÈBE, =tirant un journal.=--Voici d'ailleurs ce que dit la gazette!...
Ecoute ceci, mon garçon, =(il lit)= Nous recevons de nouveaux détails
sur la reddition de Gênes... Le général Masséna est sorti de la ville
avec huit mille hommes seulement, plus ou moins éclopés et hors d'état
de tenir la campagne. Le général Soult, prisonnier, est grièvement
blessé. Les trois quarts des généraux, colonels, officiers français de
tout grade, sont captifs comme lui ou blessés, ou morts. C'est un affreux
désastre pour ces bandes indisciplinées qui s'intitulent effrontément
l'armée française... Et ceci à la suite, =(il lit.)= Sa Majesté Napolitaine
la reine Marie-Caroline, auguste fille de l'impératrice Marie-Thérèse,
soeur de l'infortunée Marie-Antoinette, digne et glorieuse épouse de Sa
Majesté Napolitaine-Ferdinand IV, notre victorieux protecteur, est
venue tout exprès de Livourne où elle était de passage, allant à Vienne,
pour donner, ce soir 17 juin, une grande fête au palais Farnèse, en
l'honneur de cette victoire... Il y aura concert suivi de bal, avec
illumination a giorno, sur la place Farnèse, et musique à tous les
carrefours avoisinant le palais. On ne pourra regretter à cette
solennité vraiment patriotique, que l'absence de Sa Majesté Ferdinand
retenu à Naples par l'obligation d'y effacer les derniers vestiges de
l'infâme République parthénopéenne. Ajoutons qu'aux dernières
nouvelles, M. de Mêlas concentrait toutes ses troupes à Alexandrie.
Avant peu, nous pourrons fêter une dernière et décisive victoire... Avec
M. de Mêlas, Gennarino, cela n'est pas douteux... Il y a bien ce petit
général Bonaparte qui serait, dit-on, à Milan; mais prendrais-tu ce
général Bonaparte au sérieux, Gennarino?
GENNARINO.--Moi, je ne sais pas: mais le patron, oh! oui!
EUSÈBE.--Voilà encore de mon jacobin! Passe pour l'ancien
Bonaparte, le vrai... Mais celui-là qui est faux...
GENNARINO.--Faux?
EUSÈBE.--Parfaitement. Je tiens de source certaine, que le général
Bonaparte est mort en Egypte, noyé dans la mer Rouge comme Pharaon,
et que celui-ci n'est autre que son frère Joseph que l'on donne pour le
défunt, afin d'inspirer confiance aux soldats français, si découragés
qu'ils refusent de se battre!
GENNARINO.--Ainsi. Voyez!.
EUSÈBE.--Oui, mon garçon, voilà où ils en sont à Paris. Et ce n'est pas
tout. Sais-tu ce qu'il a imaginé, ce farceur-là?...
GENNARINO.--Joseph?
EUSÈBE.--Joseph!... Il fait courir, le bruit qu'il a franchi les Alpes avec
tous ses canons!... Les Alpes!... Non!... C'est à mourir de rire...
GENNARINO.--Voici le patron!
Scène II
LES MÊMES, MARIO CAVARADOSSSI
MARIO, =entrant par
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