La Terre | Page 5

Emile Zola
entre mal, ce sera perdu, elle ne retiendra pas.
D'un air calme et attentif, comme pour une besogne sérieuse, elle s'était
avancée. Le soin qu'elle y mettait fonçait le noir de ses yeux,
entr'ouvrait ses lèvres rouges, dans sa face immobile. Elle dut lever le
bras d'un grand geste, elle saisit à pleine main le membre du taureau,
qu'elle redressa. Et lui, quand il se sentit au bord, ramassé dans sa force,
il pénétra d'un seul tour de reins, à fond. Puis, il ressortit. C'était fait: le
coup de plantoir qui enfonce une graine. Solide, avec la fertilité
impassible de la terre qu'on ensemence, la vache avait reçu, sans un
mouvement, ce jet fécondant du mâle. Elle n'avait même pas frémi dans
la secousse. Lui, déjà, était retombé, ébranlant de nouveau le sol.
Françoise, ayant retiré sa main, restait le bras en l'air. Elle finit par le
baisser, en disant:
--Ça y est.
--Et raide! répondit Jean d'un air de conviction, où se mêlait un
contentement de bon ouvrier pour l'ouvrage vite et bien fait.
Il ne songeait pas à lâcher une de ces gaillardises, dont les garçons de la
ferme s'égayaient avec les filles qui amenaient ainsi leurs vaches. Cette
gamine semblait trouver ça tellement simple et nécessaire, qu'il n'y
avait vraiment pas de quoi rire, honnêtement. C'était la nature.
Mais, depuis un instant, Jacqueline se tenait de nouveau sur la porte; et,
avec un roucoulement de gorge qui lui était familier, elle lança
gaiement:
--Eh! la main partout! c'est donc que ton amoureux n'a pas d'oeil, à ce
bout-là!

Jean ayant éclaté d'un gros rire, Françoise subitement devint toute
rouge. Confuse, pour cacher sa gêne, tandis que César rentrait de
lui-même à l'étable, et que la Coliche broutait un pied d'avoine poussé
dans la fosse à fumier, elle fouilla ses poches, finit par sortir son
mouchoir, en dénoua la corne, où elle avait serré les quarante sous de la
saillie.
--Tenez! v'là l'argent! dit-elle. Bien le bonsoir!
Elle partit avec sa vache, et Jean, qui reprenait son semoir, la suivit, en
disant à Jacqueline qu'il allait au champ du Poteau, selon les ordres que
M. Hourdequin avait donnés pour la journée.
--Bon! répondit-elle. La herse doit y être.
Puis, comme le garçon rejoignait la petite paysanne, et qu'ils
s'éloignaient à la file, dans l'étroit sentier, elle leur cria encore, de sa
voix chaude et farceuse:
--Pas de danger, hein? si vous vous perdez ensemble: la petite connaît
le bon chemin.
Derrière eux, la cour de la ferme redevint déserte. Ni l'un ni l'autre
n'avaient ri, cette fois. Ils marchaient lentement, avec le seul bruit de
leurs souliers butant contre les pierres. Lui, ne voyait d'elle que sa
nuque enfantine, où frisaient de petits cheveux noirs, sous le bonnet
rond. Enfin, au bout d'une cinquantaine de pas:
--Elle a tort d'attraper les autres sur les hommes, dit Françoise
posément. J'aurais pu lui répondre...
Et, se tournant vers le jeune homme, le dévisageant d'un air de malice:
--C'est vrai, n'est-ce pas? qu'elle en fait porter à monsieur Hourdequin,
comme si elle était sa femme déjà... Vous en savez peut-être bien
quelque chose, vous?
Il se troubla, il prit une mine sotte.
--Dame! elle fait ce qu'il lui plaît, ça la regarde.
Françoise, le dos tourné, s'était remise en marche.
--Ça, c'est vrai... Je plaisante, parce que vous pourriez être quasiment
mon père, et que ça ne tire pas à conséquence... Mais, voyez-vous,
depuis que Buteau a fait sa cochonnerie à ma soeur, j'ai bien juré que je
me couperais plutôt les quatre membres que d'avoir un amoureux.
Jean hocha la tête, et ils ne parlèrent plus. Le petit champ du Poteau se
trouvait au bout du sentier, à moitié chemin de Rognes. Quand il y fut,
le garçon s'arrêta. La herse l'attendait, un sac de semence était déchargé

dans un sillon. Il y remplit son semoir, en disant:
--Adieu, alors!
--Adieu! répondit Françoise. Encore merci!
Mais il fut pris d'une crainte, il se redressa et cria:
--Dis donc, si la Coliche recommençait... Veux-tu que je t'accompagne
jusque chez toi?
Elle était déjà loin, elle se retourna, jeta de sa voix calme et forte, au
travers du grand silence de la campagne:
--Non! non! inutile, plus de danger! elle a le sac plein!
Jean, le semoir noué sur le ventre, s'était mis à descendre la pièce de
labour, avec le geste continu, l'envolée du grain; et il levait les yeux, il
regardait Françoise décroître parmi les cultures, toute petite derrière sa
vache indolente, qui balançait son grand corps. Lorsqu'il remonta, il
cessa de la voir; mais, au retour, il la retrouva, rapetissée encore, si
mince, qu'elle ressemblait à une fleur de pissenlit, avec sa taille fine et
son bonnet blanc. Trois fois de la sorte, elle diminua; puis, il la chercha,
elle avait
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