compose, pour
l'été, le costume ordinaire des femmes. Mais, quand la saison est
rigoureuse, elles se couvrent d'une tunique faite avec des peaux de
cygnes ou d'oies sauvages.
Le poisson, le gibier et des racines de kamassas (camassa esculenta) et
de ouappatou (sagitta folia commune), bulbes qui, par la saveur et la
forme, ressemblent assez à l'oignon, constituent la base de leur
alimentation. Leurs armes ont assez de rapport avec celles des autres
tribus sauvages de l'Amérique du Nord pour que je croie inutile de les
décrire spécialement ici.
Ces particularités données, je reprends, pour ne plus le quitter, le fil de
ma narration.
CHAPITRE III
POIGNET-D'ACIER
Le matin du jour où se passait la tragédie rapportée dans le premier
chapitre de ce livre, un homme se promenait, pensif, devant une cabane
grossièrement construite, près d'un monceau de ruines, le long de la
pointe Georges, sur la rive sud de la Colombie, quelques milles de son
embouchure.
L'homme était connu, dans le désert américain, sous le nom de
Poignet-d'Acier.
Les ruines étaient celles du fort Astoria.
Poignet-d'Acier avait atteint la maturité de l'âge. Sa taille était élancée,
sa musculature fine, souple, gracieuse dans son jeu; elle annonçait la
vigueur unie à l'agilité. Il avait les traits fortement accusés, un peu secs,
et sa physionomie eût été dure sans une barbe noire qui la masquait en
partie et en adoucissait les angles. Son oeil, fréquemment voilé par
quelque pensée amère, s'animait de lueurs éblouissantes quand il
voulait se fixer sur une personne ou un objet. Son éclat devenait alors
insoutenable. Il fascinait, faisait froid au coeur. A la vue de ce
personnage, on se sentait en présence d'une de ces existences ravagées
par les passions, dont la lave, toujours bouillante dans leur sein, menace
à tout instant de faire éruption.
Poignet-d'Acier portait le costume habituel des aventuriers du littoral
du Pacifique: chapeau de racines de cèdre à larges bords, chemise de
chasse en peau d'élan, une ceinture en cuir de veau marin, d'où
pendaient des pistolets, une hache et un large couteau de chasse. Des
culottes fabriquées avec le poil d'un grosses-cornes, et des bottes
molles, montant au-dessus du genou, lui tenaient lieu de mitas et de
mocassins, une grande poudrière et un étui de fer-blanc étaient passés
en sautoir derrière son dos. Un fusil à deux coups reposait
négligemment sur son avant-bras droit.
Le tableau qui se déroulait aux pieds du promeneur avait une de ces
magnificences prodigieuses que l'on ne trouve guère dans les pays
cultivés.
Au premier plan, la Colombie, qui, de l'indigo de ses ondes profondes,
formait un cadre, saisissant par le contraste, aux îles verdoyantes, aux
bancs de sable dorés dont elle est marquetée à cet endroit; au deuxième
plan, des rives escarpées, panachées de pins superbes, puis le mont
Sainte-Hélène, de forme conique, coiffé de neiges éternelles, et, dans
les derniers lointains, le ciel mêlant son azur avec l'émeraude des
incommensurables prairies.
Des phaétons du tropique au cri guttural, de grands albatros bruns, de
lourds cormorans égayaient le paysage en rasant la surface du fleuve,
tandis que des nuées de corneilles, planant au-dessus de la grève,
fondaient, de moment en moment, sur les coquillages que la marée y
avait apportés, les saisissaient entre leurs grilles, s'élevaient en l'air, les
laissaient retomber sur les rochers où ils se brisaient et où les
intelligents oiseaux descendaient pour dévorer le contenu.
Sur cette même grève, on voyait encore jouer ou se chauffer au soleil
des troupeaux de loups matins au blanc pelage. A quelques pas, des
souffleurs, sortant des eaux leur grosse tête noirâtre, lançaient dans
l'espace des guirlandes de pierreries liquides; au milieu d'eux, un banc
d'aloses faisait miroiter ses écailles diamantées en cherchant à happer
une proie parmi les essaims de mannes [8], si pressés qu'on eût dit
qu'une gaze grise était répandue sur les places qu'ils avaient Enfin, deux
faucons à tête jaune décrivaient des cercles concentriques au-dessus du
banc d'aloses. A tour de rôle l'un d'eux tombait, avec la rapidité de la
foudre, sur les poissons, en enlevait un et le portait, en poussant des cris
aigus, au sommet d'un rocher, sur une île voisine; ensuite il revenait et
continuait la pêche.
[Note 8: Sorte de grosse mouche grisâtre, très-abondante, qui suit bancs
d'aloses.]
Sur la côte où se tenait Poignet-d'Acier, le spectacle n'était pas moins
attrayant.
Une riche verdure émaillée de violettes, d'oeillets, de dents-de-lion,
d'angélique, la tapissait. Autour des décombres du fort, des sureaux et
des merisiers en fleurs remplissaient l'atmosphère de pénétrants
parfums tandis que des colibris, des oiseaux-mouches, empennés
d'émeraudes et de rubis, voltigeaient à la cime, mêlant leur pépiement
aux notes argentines de la fauvette et au cri aigrelet du goguelu.
Si captivants quo fussent ces charmes naturels, ils ne parlaient toutefois
ni à l'esprit ni au coeur de Poignet-d'Acier.
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