La Tête-Plate | Page 7

Émile Chevalier
devient assourdissant, et se continue jusqu'à ce que les exorciseurs, trempés de sueur, à court d'haleine, s'affaissent, à moitié morts, auprès de leur client.
Pendant tout le temps de l'opération, la famille vaque à ses travaux journaliers comme si de rien n'était.
Un enfant meurt-il, le père s'en prend à la mère et la tue, parce que, dit-il, elle lui a jeté un sort à sa naissance.
Un touriste canadien, M. Paul Kane, dont la relation a été élégamment traduite par M. Edouard Delessert, rapporte la tragédie suivante:
Casanov (chef chinouk) perdit son fils unique et l'enterra dans l'enceinte du fort. Il était mort de consomption, maladie très-commune chez les Indiens et qui vient sans doute de ce qu'ils sont constamment exposés aux vicissitudes des saisons. La bière fut faite assez grande pour contenir tous les objets supposés nécessaires pour son confort dans le monde des esprits. Le chapelain du fort fit la cérémonie habituelle; sur la tombe, et Casanov rentra dans sa case où, le soir même, il attenta à la vie de la mère de son enfant....
C'est une opinion répandue parmi les chefs qu'eux et leurs fils ont trop d'importance pour mourir d'une manière naturelle; à quelque époque que l'évènement arrive, ils l'attribuent à la mauvaise influence exercée par quelque autre individu qu'ils désignent souvent de la manière la plus capricieuse; le plus souvent ils font tomber leur choix sur les personnes qui leur sont les plus chères. Cette fois-là, Casanov prit pour victime la mère affligée, quoique, pendant la maladie de son fils, elle eut été la plus assidue et la plus dévouée servante, et que, de ses diverses femmes, elle fut celle qu'il aimat le plus. Mais c'est la croyance générale des Indiens de l'ouest des montagnes que plus la perte qu'ils s'infligent à eux-mêmes est grande, plus la manifestation de leur douleur est agréable à l'ame du défunt. Casanov me fit conna?tre la raison intime de son désir de tuer sa femme: elle avait été si bien l'esclave de son fils, si nécessaire à son bien-être et à son bonheur dans ce monde, qu'il devait l'envoyer près de lui pour qu'elle l'accompagnat dans son long voyage, néanmoins, la pauvre mère parvint à s'enfuir dans les Bois et à se rendre le lendemain au fort Vancouver, où elle implora protection. Elle se tint, en conséquence, cachée pendant quelques jours jusqu'à ce que ses parents eussent fixé leur résidence et la sienne à la pointe Chinouke. En ce même temps, une femme fut trouvée assassinée dans les bois; on attribue universellement ce meurtre à Casanov ou à quelqu'un de ses émissaires.
Les Chinouks ne br?lent pas leurs morts, mais ils emplissent les narines des cadavres d'une espèce de coquillages nommés a?qua, et ils fixent sur les paupières des bandelettes de grains de verre ou d'étoffe. Le corps est paré de ses vêtements de fête; puis enveloppé dans des peaux d'animaux ou des couvertures de laine et enseveli, la face tournée vers la terre et la tête suivant le cours d'une rivière, dans un canot formé avec des écorces, élevé sur quatre poteaux et soutenu par des barres transversales. Des branches d'arbres, lichees autour de ce sépulcre aérien, supportent tous les ustensiles dont le défunt a fait usage pendant sa vie. Les cérémonies funèbres se font au milieu des chants des jeesuka?ns et des hurlements des femmes et des parents du mort, qui le pleurent pendant plusieurs semaines.
Les tombeaux sont sacrés. Malheur à l'imprudent qui toucherait à l'un des objets qu'ils renferment!
Les Chinouks vivent en famille dans de grandes huttes d'écorce de cèdre, où les lits sont disposés comme les cadres dans les cabines d'un navire. Ils ne se vêtissent guère qu'en hiver; alors ils portent un manteau de peaux de rats musqués ou de veau marin.
Une ceinture (kalaquarté) en filaments d'écorce de cèdre compose, pour l'été, le costume ordinaire des femmes. Mais, quand la saison est rigoureuse, elles se couvrent d'une tunique faite avec des peaux de cygnes ou d'oies sauvages.
Le poisson, le gibier et des racines de kamassas (camassa esculenta) et de ouappatou (sagitta folia commune), bulbes qui, par la saveur et la forme, ressemblent assez à l'oignon, constituent la base de leur alimentation. Leurs armes ont assez de rapport avec celles des autres tribus sauvages de l'Amérique du Nord pour que je croie inutile de les décrire spécialement ici.
Ces particularités données, je reprends, pour ne plus le quitter, le fil de ma narration.

CHAPITRE III
POIGNET-D'ACIER
Le matin du jour où se passait la tragédie rapportée dans le premier chapitre de ce livre, un homme se promenait, pensif, devant une cabane grossièrement construite, près d'un monceau de ruines, le long de la pointe Georges, sur la rive sud de la Colombie, quelques milles de son embouchure.
L'homme était connu, dans le désert américain, sous le nom de Poignet-d'Acier.
Les ruines étaient celles du fort Astoria.
Poignet-d'Acier
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