La Suggestibilité | Page 6

Alfred Binet
microscope, il mettait sur le
porte-objet une préparation quelconque, il décrivait d'avance des détails purement
imaginaires, puis il priait les débutants de regarder, de décrire à leur tour ce qu'ils
voyaient; très souvent, dit-il, les étudiants ont attesté qu'il voyaient les détails annoncés
par leur professeur; quelques-uns même les ont dessinés. Le fait est intéressant, sans
doute; mais on voudrait plus de détails; peut-être n'ont-ils fait le dessin que par pure
complaisance, parce qu'ils voulaient faire plaisir à leur futur examinateur, et il n'est pas
certain qu'ils aient cru voir ce qu'ils ont dessiné.
[Note 11: E. Yung. Le sommeil normal et le sommeil pathologique. Paris, Doin.]
Sidis[12] a fait dans le laboratoire de Münsterberg, à Harvard, des recherches analogues.
Il faisait asseoir son sujet devant une table, et le priait de regarder fixement un point d'un
écran; cette fixation avait lieu durant vingt secondes; pendant ce temps-là, le sujet devait
chasser toute idée et s'efforcer de ne penser à rien; puis brusquement, on enlevait l'écran,
découvrant une table sur laquelle divers objets étaient posés, et il était convenu que
lorsque l'écran serait enlevé, le sujet devait exécuter, aussi rapidement que possible, un
acte quelconque laissé à son choix. L'expérience se déroulait en effet dans l'ordre indiqué;
seulement, quand l'écran était enlevé, l'opérateur donnait à haute voix une suggestion,
comme de prendre un objet placé sur la table, ou de frapper 3 coups sur la table. Cette
suggestion de mouvements et d'actes n'a pas été infaillible, puisqu'elle s'adressait à des
personnes éveillées; cependant Sidis rapporte qu'elle réussissait dans la moitié des cas.
Ceux même qui n'obéissaient pas paraissaient parfois impressionnés, car il en est
quelques-uns qui restaient immobiles, comme frappés d'inhibition, incapables d'exécuter
le plus petit mouvement. Parmi ceux qui obéissaient, il s'en est trouvé un, jeune homme
très intelligent, qui exécutait à la manière d'un mouvement réflexe l'acte commandé.
Quant aux autres, on les voyait bien exécuter l'acte, mais il était difficile de se rendre

compte de la façon dont ils avaient été impressionnés: si on les interrogeait, si on leur
demandait pourquoi ils avaient obéi, ils répondaient en général que c'était par simple
politesse. L'auteur a raison de douter qu'une telle explication soit valable pour un si grand
nombre de cas. Analysant son expérience, il a cherché à se rendre compte des raisons
pour lesquelles elle restait obscure. Pour qu'une suggestion réussisse à l'état de veille, il
faut réunir un certain nombre de conditions qui ont pour but de procurer au sujet un état
de calme physique et moral et de diminuer son pouvoir de résistance. Or, lorsqu'on
adresse à haute voix une injonction à une personne, on emploie la suggestion directe, qui
a toujours le tort d'éveiller la résistance; de là les insuccès fréquents. L'auteur pense que
ce sont surtout les suggestions indirectes qui réussissent pendant l'état de veille, et les
suggestions directes pendant l'état d'hypnotisme.
[Note 12: _Op. cit._, p. 35]
Cette formule présente une netteté très curieuse, mais nous doutons qu'elle soit
absolument juste, et puisse convenir à tous les cas. Ce qui me paraît entièrement vrai,
c'est que la résistance du sujet peut faire échouer les suggestions directes. Cette cause
d'échec est moins à craindre pendant l'état d'hypnotisme, mais elle n'y subsiste pas moins,
et je me rappelle plus d'un sujet rebelle qui a mis dans un grand embarras son opérateur:
un jour que Charcot montrait quelques-unes de ses hypnotisées à des étrangers, il voulut
faire écrire à l'une d'elles une reconnaissance de dette égale à un million; l'énormité du
chiffre provoqua de la part de l'hypnotisée une résistance invincible, et pour la décider à
donner sa signature il fallut se borner à lui faire souscrire une dette de cent francs. D'autre
part, j'ai bien constaté que pendant l'état d'hypnotisme, les suggestions données sous une
forme indirecte sont très effectives; au lieu de dire à une malade rebelle: «Vous allez
vous lever!» on obtient un effet qui quelquefois est plus sûr, en se contentant de dire à
demi-voix à un assistant: «Je crois qu'elle va se lever.» Suivant les circonstances, tel
mode de suggestion réussit et tel autre mode échoue.
Mais revenons à l'étude de l'état normal. Il faut distinguer les suggestions de sensations et
d'idées et les suggestions d'actes; ces dernières sont toujours difficiles à réaliser, car elles
impliquent d'une part commandement et d'autre part obéissance, et il est bien vrai qu'un
ordre donné sur un ton autoritaire a quelque chose d'offensant qui excite un sujet à la
résistance. Il y aurait donc lieu d'imaginer une forme d'expérience un peu différente de
celle de Sidis.
Un petit détail, assez insignifiant en apparence, est à relever dans les descriptions de cet
auteur. Avant de donner sa suggestion, dit-il, il avait soin d'engager la personne à
regarder un point fixe pendant vingt secondes. Il ne dit
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