La San-Felice, Tome V | Page 5

Alexandre Dumas, père
oui.
Le chevalier regarda un instant Michele.
--Mon cher Michele, lui dit-il, tu vas nous promettre de ne pas dire �� qui que ce soit au monde un seul mot du secret que nous allons te confier.
--Ah! ah! tu sais ce que c'est, petite soeur?
--Oui.
--Et il faut se taire?
--Tu entends bien ce que te dit le chevalier? Michele fit une croix sur sa bouche.
--Parlez: c'est comme si le becca?o m'e?t coup�� la langue.
--Eh bien, Michele, tout le monde part ce soir.
--Comment, tout le monde? Qui cela?
--Le roi, la reine, la famille royale, nous-m��mes.
Les larmes vinrent aux yeux de Luisa. Michele jeta un rapide coup d'oeil sur elle et vit ces larmes.
--Et pour quel pays part-on? demanda Michele.
--Pour la Sicile.
Le lazzarone secoua la t��te.
--Ah! ah! fit le chevalier.
--Je n'ai pas l'honneur d'��tre du conseil de Sa Majest��, dit Michele; mais, si j'en ��tais, je lui dirais: ?Sire, vous avez tort.?
--Oh! pourquoi n'a-t-il pas des conseillers aussi francs que toi, Michele!
--On le lui a dit, reprit le chevalier; l'amiral Caracciolo, le cardinal Ruffo le lui ont dit; mais la reine a eu peur, mais M. Acton a eu peur, et, �� la suite du meurtre d'aujourd'hui, le roi s'est d��cid�� �� partir.
--Ah! ah! fit Michele, je commence �� comprendre pourquoi, au nombre des assassins, j'ai vu Pasquale de Simone et le becca?o. Quant �� fra Pacifico, pauvre homme, il y ��tait, comme son ane, sans savoir pourquoi.
--Alors, Michele, demanda Luisa, tu crois que c'est la reine...?
--Chut! petit soeur; on ne dit pas de ces choses-l�� �� Naples, on se contente de les penser. N'importe! le roi a tort. Si le roi ��tait rest�� �� Naples, jamais les Fran?ais n'y seraient entr��s, non, jamais: nous nous serions plut?t fait tuer tous! Ah! si le peuple savait que le roi veut partir!
--Oui; mais il ne faut pas qu'il le sache, Michele. Voil�� pourquoi je t'ai fait faire serment de ne rien de dire ce que j'allais te r��v��ler. Enfin, nous partons ce soir, Michele.
--Et petite soeur aussi? demanda Michele avec un accent dont il n'avait pu chasser toute surprise.
--Oui; elle a voulu venir, elle a voulu me suivre, cette ch��re enfant bien-aim��e, dit le chevalier en ��tendant sa main au-dessus de la table pour chercher celle de Luisa.
--Eh bien, dit Michele, vous pouvez vous vanter d'avoir ��pous�� une sainte, vous!
--Michele!... fit Luisa.
--Je sais ce que je dis. Et vous partez, vous partez ce soir! Madonna! moi, je voudrais bien ��tre quelqu'un: je partirais aussi avec vous.
--Viens, Michele! viens! s'��cria Luisa, qui voyait dans Michele un ami auquel elle pourrait parler de Salvato.
--Par malheur, c'est impossible, petite soeur; chacun a son devoir. Le tien veut que tu partes, et le mien m'ordonne de rester. Je suis capitaine et chef du peuple, et ce n'est pas seulement pour faire le moulinet autour de la t��te du becca?o que j'ai un sabre au c?t��: c'est pour me battre, c'est pour d��fendre Naples, c'est pour tuer le plus de Fran?ais que je pourrai.
Luisa ne put r��primer un mouvement.
--Oh! sois tranquille, petite soeur, reprit Michele en riant, je ne les tuerai pas tous.
--Eh bien, pour en finir, continua le chevalier, nous nous embarquons ce soir �� la Vittoria, pour rejoindre la fr��gate de l'amiral Caracciolo, derri��re le chateau de l'Oeuf. Je voulais te prier de ne pas quitter ta soeur et, au besoin, de faire pour elle, au moment de l'embarquement, ce que tu as fait, il y a deux heures, pour moi, c'est-��-dire de la prot��ger.
--Oh! sous ce rapport-l��, vous pouvez ��tre tranquille, chevalier. Pour vous, je me ferais tuer; mais, pour elle, je me ferais hacher en morceaux. Mais, c'est ��gal, si le peuple savait cela, il y aurait une fi��re ��meute.
--Ainsi, dit le chevalier se levant de table, j'ai ta parole, Michele: tu ne quittes Luisa que quand elle sera dans la barque.
--Soyez tranquille, je ne la quitte d'ici l�� pas plus que son ombre un jour de soleil, attendu qu'aujourd'hui je ne sais pas trop ce que chacun de nous a fait de la sienne.
Le chevalier, qui avait tous ses papiers �� mettre en ordre, tous ses livres �� emballer, tous ses manuscrits commenc��s �� emporter avec lui, rentra dans son cabinet.
Quant �� Michele, qui n'avait rien �� faire qu'�� regarder sa petite soeur, il fixa son regard bienveillant sur elle, et, voyant deux grosses larmes qui coulaient silencieusement de ses beaux yeux sur ses joues:
--C'est ��gal, dit-il, il y a des hommes qui ont une fi��re chance, et le chevalier est de ces hommes-l��. Mannaggia la Madonna! ce n'est pas Assunta qui ferait pour moi ce que tu fais pour lui.
Luisa se leva, et, si vite qu'elle rentrat dans sa chambre, si rapidement qu'elle en refermat la porte, Michele put entendre le bruit des sanglots qui, malgr�� elle, maintenant qu'elle ��tait seule, s'��chappaient tumultueusement de sa
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