La San-Felice, Tome IV | Page 7

Alexandre Dumas, père
que les Français se défendent,
mais cela n'a rien d'inquiétant, puisqu'ils ne sont que huit mille et que
Mack a quarante mille soldats.
»Je vous écris, ma chère épouse et maîtresse, avant de me mettre à table.
On ne m'attendait qu'à sept heures, et je suis arrivé à six heures et
demie; ce qui fait que, quoique j'eusse une grande faim, je n'ai point
trouvé mon dîner prêt et suis forcé d'attendre; mais, vous le voyez,
j'utilise agréablement ma demi-heure en vous écrivant.
»Après le dîner, j'irai au théâtre Argentina, où j'entendrai il Matrimonio
segreto, et où j'assisterai à un ballet composé en mon honneur. Il est
intitulé l'Entrée d'Alexandre à Babylone. Ai-je besoin de vous dire, à
vous qui êtes l'instruction en personne, que c'est une allusion délicate à
mon entrée à Rome? Si ce ballet est tel qu'on me l'assure, j'enverrai
celui qui l'a composé à Naples pour le monter au théâtre Saint-Charles.
»J'attends dans la soirée la nouvelle d'une grande victoire; je vous
enverrai un courrier aussitôt que je l'aurai reçue.
»Sur ce, n'ayant point autre chose à vous dire que de vous souhaiter, à
vous et à nos chers enfants, une santé pareille à la mienne, je prie Dieu
qu'il vous ait dans sa sainte et digne garde.
»FERDINAND B.»

Comme on le voit, la partie importante de la lettre disparaissait
complètement sous la partie secondaire; il y était beaucoup plus
question de la chasse au sanglier qu'avait faite le roi, que de la bataille
qu'avait livrée Mack. Louis XIV, dans son orgueil autocratique, a dit le
premier: l'État, c'est moi; mais cette maxime, même avant qu'elle fut
matérialisée par Louis XIV, était déjà, comme elle l'a été depuis, celle
de toutes les royautés despotiques.
Malgré son vernis d'égoïsme, la lettre de Ferdinand produisit l'effet que
la reine en attendait, et nul ne fut assez hardi dans son opposition pour
ne point partager l'espérance de Sa Majesté quant au résultat de la
bataille.
Le ballet fini, le théâtre évacué, les lumières éteintes, les invités
remontés dans les voitures qui devaient les ramener ou les disséminer
dans les maisons de campagne des environs de Caserte et de Santa
Maria, la reine rentra dans son appartement, avec les personnes de son
intimité qui, logeant au château, restaient à souper et à veiller avec elle;
ces personnes étaient avant tout Emma, les dames d'honneur de service,
sir William, lord Nelson, qui, depuis trois ou quatre jours seulement,
était de retour de Livourne, où il avait convoyé les huit mille hommes
du général Naselli; c'était le prince de Castelcicala, que son rang élevait
presque à la hauteur des illustres hôtes qui l'invitaient à leur table, ou
des nobles convives près desquels il s'asseyait, tandis que le métier
auquel il s'était soumis le plaçait moralement au-dessous de la valetaille
qui le servait; c'était Acton, qui, ne se dissimulant point la
responsabilité qui pesait sur lui, avait, depuis quelque temps, redoublé
de soins et de respects pour la reine, sentant bien qu'au jour des revers,
si ce jour-là arrivait, la reine serait son seul appui; enfin, c'étaient, ce
soir-là, par extraordinaire, les deux vieilles princesses, que la reine, se
souvenant de la recommandation que son époux lui avait faite de ne
point oublier que mesdames Victoire et Adélaïde étaient, après tout, les
filles du roi Louis XV, avait invitées à venir passer une semaine à
Caserte, et en même temps à amener avec elles leurs sept gardes du
corps, qui, sans être incorporés dans l'armée napolitaine, devaient,
toujours, sur la recommandation du roi, ayant tous reçu du ministre
Ariola la paye et le grade de lieutenant, manger et loger avec les

officiers de garde, et être fêtés par eux tandis que les vieilles princesses
seraient fêtées par la reine; seulement, pour faire honneur aux vieilles
dames jusque dans la personne de leurs gardes du corps, chaque soir,
elles avaient l'autorisation d'inviter à souper un d'entre eux, qui, ce
soir-là, devenait leur chevalier d'honneur.
Elles étaient arrivées depuis la veille, et, la veille, elles avaient
commencé leur série d'invitations par M. de Boccheciampe; ce soir-là,
c'était le tour de Jean-Baptiste de Cesare, et, comme elles s'étaient
retirées un instant dans leur appartement, en sortant du théâtre, de
Cesare--qui, du parterre, place des officiers, avait assisté au
spectacle,--de Cesare était allé les prendre à leur appartement pour
entrer avec elles chez la reine et être présenté à Sa Majesté et à ses
illustres convives.
Nous avons dit que Boccheciampe appartenait à la noblesse de Corse,
et de Cesare à une vieille famille de caporali, c'est-à-dire d'anciens
commandants militaires de district, et que tous deux avaient très-bon
air. Or, à ce bon air qu'il n'était point sans s'être reconnu à lui-même, de
Cesare avait ajouté, ce soir-là, tout ce que la toilette d'un lieutenant
permet d'ajouter à
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