son idée, tu as raison. Une chambre, une
chambre tout de suite!
--Et que faut-il faire des chevaux de Leurs Excellences?
--Mets-les à l'écurie; on viendra les reprendre de ma part, de la part du
duc d'Ascoli, tu entends?
--Oui, Excellence.
Le duc d'Ascoli regarda le roi.
--Je sais ce que je dis, fit Ferdinand; allons toujours, et ne perdons pas
de temps.
L'hôte les conduisit à une chambre où il alluma deux chandelles.
--C'est que je n'ai qu'un cabriolet, dit-il.
--Va pour un cabriolet, s'il est solide.
--Bon! Excellence, avec lui on irait en enfer.
--Je ne vais qu'à moitié chemin, ainsi tout est pour le mieux.
--Alors, Leurs Excellences m'achètent mon cabriolet?
--Non; mais elles te laissent leurs deux chevaux, qui valent quinze cents
ducats, imbécile!
--Alors, les chevaux sont pour moi?
--Si on ne te les réclame pas. Si on te les réclame, on te payera ton
cabriolet; mais fais vite, voyons.
--Tout de suite, Excellence.
Et l'hôte, qui venait de voir le roi sans manteau, et tout chamarré
d'ordres, se retira à reculons et en saluant jusqu'à terre.
--Bon! dit le duc d'Ascoli, nous allons être servis à la minute, les
cordons de Votre Majesté ont fait leur effet.
--Tu crois, d'Ascoli?
--Votre Majesté l'a bien vu, peu s'en est fallu que notre homme ne sortît
à quatre pattes.
--Eh bien, mon cher d'Ascoli, dit le roi de sa voix la plus caressante, tu
ne sais pas ce que tu vas faire?
--Moi, sire?
--Mais non, dit le roi, tu ne voudrais point, peut-être...
--Sire! dit d'Ascoli gravement, je voudrai tout ce que voudra Votre
Majesté.
--Oh! je sais bien que tu m'es dévoué, je sais bien que tu es mon unique
ami, je sais bien que tu es le seul homme auquel je puisse demander
une pareille chose.
--C'est difficile?
--Si difficile, que, si tu étais à ma place et que je fusse à la tienne, je ne
sais pas si je ferais pour toi ce que je vais te demander de faire pour
moi.
--Oh! sire, ceci n'est point une raison, répondit d'Ascoli avec un léger
sourire.
--Je crois que tu doutes de mon amitié, dit le roi, c'est mal.
--Ce qui importe en ce moment, sire, répliqua le duc avec une suprême
dignité, c'est que Votre Majesté ne doute pas de la mienne.
--Oh! quand tu m'en auras donné cette preuve-là, je ne douterai plus de
rien, je t'en réponds.
--Quelle est cette preuve, sire? Je ferai observer à Votre Majesté qu'elle
perd beaucoup de temps à une chose probablement bien simple.
--Bien simple, bien simple, murmura le roi; enfin, tu sais de quoi ont
osé me menacer ces brigands de jacobins?
--Oui: de pendre Votre Majesté, si elle tombait entre leurs mains.
--Eh bien, mon cher ami, eh bien, mon cher d'Ascoli, il s'agit de
changer d'habit avec moi.
--Oui, dit le duc, afin que, si les jacobins nous prennent...
--Tu comprends: s'ils nous prennent, croyant que tu es le roi, ils ne
s'occuperont que de toi; moi, pendant ce temps-là, je me défilerai, et,
alors, tu te feras reconnaître, et, sans avoir couru un grand danger, tu
auras la gloire de sauver ton souverain. Tu comprends?
--Il ne s'agit point du danger plus ou moins grand que je courrai, sire; il
s'agit de rendre service à Votre Majesté.
Et le duc d'Ascoli, ôtant son habit et le présentant au roi, se contenta de
dire:
--Le vôtre, sire!
Le roi, si profondément égoïste qu'il fût, se sentit cependant touché de
ce dévouement; il prit le duc entre ses bras et le serra contre son coeur;
puis, ôtant son propre habit, il aida le duc à le passer, avec la dextérité
et la prestesse d'un valet de chambre expérimenté, le boutonnant du
haut en bas, quelque chose que pût faire d'Ascoli pour l'en empêcher.
--Là! dit le roi; maintenant, les cordons.
Il commença par lui mettre au cou celui de
Saint-Georges-Constantinien.
--Est-ce que tu n'es pas commandeur de Saint-Georges? demanda le roi.
--Si fait, sire, mais sans commanderie; Votre Majesté avait toujours
promis d'en fonder une pour moi et pour les aînés de ma famille.
--Je la fonde, d'Ascoli, je la fonde, avec une rente de quatre mille
ducats, tu entends?
--Merci, sire.
--N'oublie pas de m'y faire penser; car, moi, je serais capable de
l'oublier.
--Oui, dit le duc avec un petit sentiment d'amertume, Votre Majesté est
fort distraite, je sais cela.
--Chut! ne parlons pas de mes défauts dans un pareil moment; ce ne
serait pas généreux. Mais tu as le cordon de Marie-Thérèse, au moins?
--Non, sire, je n'ai pas cet honneur.
--Je te le ferai donner par mon gendre, sois tranquille. Ainsi, mon
pauvre d'Ascoli, tu n'as que Saint-Janvier?
--Je n'ai pas plus Saint-Janvier que Marie-Thérèse, sire.
--Tu n'as pas Saint-Janvier?
--Non,
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