La San-Felice, Tome III | Page 6

Alexandre Dumas, père
et mon p��re s'en alla de son c?t��, apr��s lui avoir vu prendre le chemin qui devait la ramener pr��s de moi. Pendant une demi-heure, tout alla bien; mais alors le temps s'obscurcit tout �� coup, le tonnerre gronda et un orage terrible ��clata, m��l�� d'��clairs et de pluie. Par malheur, au lieu de suivre le chemin fray��, la bonne femme prit, afin d'arriver plus vite �� la maison, un sentier qui raccourcissait la distance, mais que la nuit rendait plus difficile; un loup qui, effray�� lui-m��me par l'orage, croisa son chemin, lui fit peur; elle se jeta de c?t��, s'enfuit, s'engagea dans un taillis, s'y ��gara, et, de plus en plus ��pouvant��e par l'orage, erra au hasard, appelant, pleurant, criant, mais n'ayant pour r��ponse �� ses cris que ceux des chouettes et des hiboux.
?Folle, ��perdue, elle erra ainsi pendant trois heures, se heurtant aux arbres, buttant contre les souches �� fleur de terre, roulant dans les ravins perdus dans l'obscurit��, et entendant successivement, au milieu des grondements du tonnerre, sonner neuf heures, dix heures, onze heures; enfin, comme le premier coup de minuit tintait, un ��clair lui fit voir �� cent pas d'elle notre maison tant cherch��e, et, quand l'��clair fut ��teint, quand la for��t fut retomb��e dans les t��n��bres, elle continua d'��tre guid��e par une lumi��re qui venait de la chambre o�� ��tait mon berceau: elle crut que mon p��re ��tait revenu avant elle et doubla le pas; mais comment ��tait-il rentr��, puisqu'il lui avait donn�� la clef? En avait-il une seconde? Ce fut sa pens��e; et, tremp��e par la pluie, meurtrie par les chutes, aveugl��e par les ��clairs, elle ouvrit la porte, la repoussa derri��re elle, croyant la fermer, monta rapidement l'escalier, traversa la chambre de mon p��re et ouvrit la porte de la mienne.
?Mais, sur le seuil, elle s'arr��ta en poussant un cri...
--Mon ami! mon ami! s'��cria Luisa en serrant les mains du jeune homme.
--Une femme v��tue de blanc ��tait debout pr��s de mon lit, continua le jeune homme d'une voix alt��r��e, murmurant tout bas un de ces chants maternels avec lesquels on endort les enfants, et me ber?ant de la main en m��me temps que de la voix. Cette femme, jeune, belle, seulement le visage couvert d'une mortelle paleur, avait une tache rouge au milieu du front.
?La nourrice s'adossa au chambranle de la porte pour ne pas tomber; les jambes lui manquaient.
?Elle avait bien compris qu'elle ��tait en face d'un ��tre surnaturel et bienheureux, car la lumi��re qui ��clairait la chambre ��manait de lui; d'ailleurs, peu �� peu les contours de l'apparition, parfaitement accus��s d'abord s'effac��rent; les traits du visage devinrent moins distincts, les chairs et les v��tements, aussi pales les uns que les autres, se confondirent en perdant leurs reliefs; le corps devint nuage, le nuage se transforma en vapeur, enfin la vapeur s'��vanouit �� son tour, laissant apr��s elle l'obscurit�� la plus profonde, et, dans cette obscurit��, un parfum inconnu.
?En ce moment, mon p��re rentrait lui-m��me; la nourrice l'entendit, et, plus morte que vive, l'appela. Il monta �� sa voix, alluma une bougie, trouva la bonne femme au m��me endroit, tremblante, le front ruisselant de sueur, pouvant �� peine respirer.
?Rassur��e par la pr��sence de mon p��re et par la lumi��re de la bougie, elle s'��lan?a vers mon berceau et me prit entre ses bras: je dormais paisiblement. Pensant que je n'avais rien pris depuis quatre heures de l'apr��s-midi et que je devais avoir faim, elle me donna son sein, mais je refusai de le prendre.
?Alors, elle raconta tout �� mon p��re, qui ne comprenait rien �� cette obscurit��, �� son agitation, �� ses terreurs, et surtout �� ce parfum myst��rieux qui flottait dans l'appartement.
?Mon p��re l'��couta avec attention, en homme qui, ayant essay�� de les sonder tous, ne s'��tonne d'aucun des myst��res de la nature, et, quand elle en vint �� faire le portrait de la femme qui chantait en balan?ant mon berceau et qu'elle lui dit que cette femme avait une tache rouge au milieu du front, il se contenta de r��pondre:
?--C'��tait sa m��re.
?Plus d'une fois, continua le bless�� d'une voix plus alt��r��e, il me raconta la chose depuis, et cet esprit fort et puissant ne doutait point qu'�� mes cris l'ombre bienheureuse n'e?t obtenu de Dieu la permission de redescendre du ciel pour apaiser la faim et les cris de son enfant.
--Et depuis, demanda Luisa pale et frissonnante elle-m��me, vous dites que vous l'avez vue?
--Trois fois, r��pondit le jeune homme. La premi��re, c'��tait pendant la nuit qui pr��c��da le jour o�� je la vengeai: je la vis s'avancer vers mon lit avec cette tache rouge au milieu du front; elle s'inclina sur moi pour m'embrasser, je sentis le contact de ses l��vres froides, et quelque chose qui ressemblait �� une larme tomba sur mon front au moment o�� elle se relevait;
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