demie jusqu'à une heure du matin dans les
ruines du palais de la reine Jeanne; que, du moment où il y a troqué son
uniforme militaire contre une houppelande bourgeoise, il n'y est pas
resté seul; et sans doute avait-il des lettres de la part de son général
pour d'autres personnes encore que l'ambassadeur français.
--C'était justement ce que je pensais en même temps que tu me le disais,
mon cher Pasquale. Et sur ces personnes, ajouta la reine, tu n'as aucun
soupçon?
--Non, pas encore; mais nous allons, je l'espère bien, savoir quelque
chose de nouveau.
--Je t'écoute, Pasquale, dit la reine en inondant en quelque sorte le sbire
de la lumière de ses yeux.
--Des huit hommes que j'avais commandés pour l'expédition de cette
nuit, j'en ai distrait deux, pensant que c'était assez de six pour venir à
bout de notre aide de camp; il a failli m'en coûter cher de l'avoir pesé à
faux poids; mais cela ne fait rien... Eh bien, ces deux hommes, je les ai
placés en embuscade au-dessus du palais de la reine Jeanne, avec ordre
de suivre les gens qui en sortiraient avant ou après l'homme à qui
j'avais affaire moi-même, et de tâcher de savoir qui ils sont ou du moins
où ils demeurent.
--Eh bien?
--Eh bien, madame, je leur ai donné rendez-vous au pied de la statue du
Géant, et, si Votre Majesté le permet, je vais voir s'ils sont à leur poste.
--Va! et, s'ils y sont, amène-les-moi; je veux les interroger moi-même.
Pasquale de Simone disparut dans le corridor, et l'on entendit le bruit de
ses pas décroître au fur et à mesure qu'il descendait les marches de
l'escalier.
Restée seule, la reine jeta vaguement un regard sur la table, elle y vit ce
second papier que le sbire avait traité de chiffon, décollé du portefeuille
où il adhérait et rejeté en même temps que lui sur la table.
Dans son désir de lire la lettre du général Championnet, et dans sa
satisfaction après l'avoir lue, elle l'avait oublié.
C'était une lettre écrite sur un élégant papier; elle était d'une écriture de
femme, mince, fine, aristocratique; aux premiers mots, la reine
reconnut une lettre d'amour.
Elle commençait par ces deux mots: Caro Nicolino.
Par malheur pour la curiosité de la reine, le sang avait presque
entièrement envahi la page écrite; on pouvait seulement distinguer la
date, qui était le 20 septembre, et lire les regrets ressentis par la
personne qui écrivait la lettre de ne pouvoir venir à son rendez-vous
accoutumé, obligée qu'elle était de suivre la reine, qui allait au-devant
de l'amiral Nelson.
Il n'y avait pour toute signature qu'une lettre, une initiale, une E.
Pour cette fois, la reine s'y perdait complétement.
Une lettre de femme, une lettre d'amour, une lettre datée du 20
septembre, une lettre enfin d'une personne qui s'excusait de manquer
son rendez-vous habituel parce qu'elle était obligée de suivre la reine,
une pareille lettre ne pouvait être adressée à l'aide de camp de
Championnet qui, le 20 septembre, c'est-à-dire trois jours auparavant,
était à cinquante lieues de Naples.
Il n'y avait qu'une probabilité, et l'esprit intelligent de la reine la lui
présenta bientôt.
Cette lettre se trouvait sans doute dans la poche de la houppelande
prêtée à l'envoyé du général Championnet, par un de ses complices du
palais de la reine Jeanne. L'aide de camp avait mis son portefeuille dans
la même poche après l'avoir enlevé de son uniforme; le sang, en coulant
de la blessure, avait collé la lettre au portefeuille, quoique cette lettre et
ce portefeuille n'eussent rien de commun entre eux.
La reine se leva alors, alla au fauteuil où Pasquale avait déposé le
manteau, examina ce manteau, et, en l'ouvrant, trouva le sabre et les
pistolets qu'il renfermait.
Le manteau était évidemment un simple manteau d'ordonnance
d'officier de cavalerie française.
Le sabre, comme le manteau, était d'ordonnance; il avait dû appartenir
à l'inconnu; mais il n'en était pas de même des pistolets.
Les pistolets, très-élégants, étaient de la manufacture royale de Naples,
montés en vermeil et portaient gravée sur un écusson la lettre N.
Un jour se faisait sur cette mystérieuse affaire. Sans aucun doute, les
pistolets appartenaient à ce même Nicolino auquel la lettre était
adressée.
La reine mit les pistolets à part avec la lettre, en attendant mieux; c'était
un commencement d'indice qui pouvait conduire à la vérité.
En ce moment, de Simone rentrait avec ses deux hommes.
Les renseignements qu'ils apportaient étaient de peu de valeur.
Cinq ou six minutes après la sortie de l'aide de camp, ils avaient cru
voir une barque montée par trois personnes s'éloigner comme si elle
allait à la villa, profitant de la mer qui avait calmi.
Deux de ces personnes ramaient.
Il n'y avait point à s'occuper de cette barque; elle
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