échappait
naturellement à l'investigation des deux sbires, qui ne pouvaient la
suivre sur l'eau.
Mais, presque au même moment, par compensation, trois autres
personnes apparaissaient à la porte donnant sur la route du Pausilippe,
et, après avoir regardé si la route était libre, se hasardaient à sortir en
fermant avec soin cette porte derrière eux; seulement, au lieu de
descendre la route du côté de Mergellina, comme avait fait le jeune aide
de camp ils la remontèrent du côté de la villa de Lucullus.
Les deux sbires suivirent les trois inconnus.
Au bout de cent pas, à peu près, l'un de ces derniers gravit le talus à
droite et se jeta dans un petit sentier où il disparut derrière les aloès et
les cactus; celui-là devait être très-jeune, autant qu'on avait pu en juger
par la légèreté avec laquelle il avait gravi les talus et par la fraîcheur de
la voix avec laquelle il avait crié à ses deux amis:
--Au revoir!
Les autres avaient gravi le talus à leur tour, mais plus lentement, et par
un sentier qui, en longeant la pente de la montagne et en revenant sur
Naples, devait les conduire au Vomero.
Les sbires s'étaient engagés derrière eux dans le même sentier; mais, se
voyant suivis, les deux inconnus s'étaient arrêtés, avaient tiré de leur
ceinture, chacun une paire de pistolets, et, s'adressant à ceux qui les
suivaient:
--Pas un pas de plus, avaient-ils dit, ou vous êtes morts!
Comme la menace était faite d'une voix qui ne laissait pas de doute sur
son exécution, les deux sbires, qui n'avaient point ordre de pousser les
choses à leur extrémité, et qui, d'ailleurs, n'étaient armés que de leurs
couteaux, se tinrent immobiles et se contentèrent de suivre des yeux les
deux inconnus jusqu'à ce qu'ils les eussent perdus de vue.
Donc, aucun renseignement à attendre de ces hommes, et le seul fil à
l'aide duquel on pût suivre la conspiration perdue dans le labyrinthe du
palais de la reine Jeanne était cette lettre d'amour adressée à Nicolino et
ces pistolets achetés à la manufacture royale et marqués d'une N.
La reine fit signe à Pasquale que lui et ses hommes pouvaient se retirer;
elle jeta dans une armoire le sabre et le manteau, qui, pour le moment,
ne lui étaient d'aucune utilité, et rapporta chez elle le portefeuille, les
pistolets et la lettre.
Acton attendait toujours.
Elle déposa dans un tiroir de secrétaire les pistolets et le portefeuille, ne
gardant que la lettre tachée de sang, avec laquelle elle entra au salon.
Acton, en la voyant paraître, se leva et la salua sans manifester la
moindre impatience de sa longue attente.
La reine alla à lui.
--Vous êtes chimiste, n'est-ce pas, monsieur? lui dit-elle.
--Si je ne suis pas chimiste dans toute l'acception du mot, madame,
répondit Acton, j'ai du moins quelques connaissances en chimie.
--Croyez-vous que l'on puisse effacer le sang qui tache cette lettre sans
en effacer l'écriture?
Acton regarda la lettre; son front s'assombrit.
--Madame, dit-il, pour la terreur et le châtiment de ceux qui le
répandent, la Providence a voulu que le sang laissât des taches difficiles
entre toutes à faire disparaître. Si l'encre dont cette lettre est écrite est
composée, comme les encres ordinaires, d'une simple teinture et d'un
mordant, l'opération sera difficile; car le chlorure de potassium, en
enlevant le sang, attaquera l'encre; si, au contraire, ce qui n'est pas
probable, l'encre contient du nitrate d'argent ou est composée de
charbon animal et de gomme copale, une solution d'hypochlorite de
chaux enlèvera la tache sans porter aucune atteinte à l'encre.
--C'est bien, faites de votre mieux; il est très-important que je connaisse
le contenu de cette lettre.
Acton s'inclina.
La reine reprit:
--Vous m'avez fait dire, monsieur, que vous aviez deux nouvelles
graves à me communiquer. J'attends.
--Le général Mack est arrivé ce soir pendant la fête, et, comme je l'y
avais invité, est descendu chez moi, où je l'ai trouvé en rentrant.
--Il est le bienvenu, et je crois que, décidément, la Providence est pour
nous. Et la seconde nouvelle, monsieur?
--Est non moins importante que la première, madame. J'ai échangé
quelques mots avec l'amiral Nelson, et il est en mesure de faire, à
l'endroit de l'argent, tout ce que Votre Majesté désirera.
--Merci; voilà qui complète la série des bonnes nouvelles.
Caroline alla à la fenêtre, écarta les tentures, jeta un coup d'oeil sur
l'appartement du roi, et, le voyant éclairé:
--Par bonheur, le roi n'est pas encore couché, dit-elle; je vais lui écrire
qu'il y a conseil extraordinaire ce matin et qu'il est de toute nécessité
qu'il y assiste.
--Il avait, je crois me le rappeler, des projets de chasse pour aujourd'hui,
répliqua le ministre.
--Bon! dit dédaigneusement la reine, il les remettra à un autre jour.
Puis elle prit
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