général Acton et Sa Majesté la reine ont décidé qu'il y aurait
conseil extraordinaire aujourd'hui mardi. Que le bon Dieu bénisse la
reine et M. Acton! Est-ce que je les tourmente, moi? Qu'ils fassent donc
ce que je fais, qu'ils me laissent tranquille.
--Sire, répliqua Ruffo, pour cette fois, je suis obligé de donner raison à
Sa Majesté la reine et à M. le capitaine général; un conseil
extraordinaire me paraît de toute nécessité, et plus tôt il aura lieu,
mieux cela vaudra.
--Eh bien, alors, vous en serez, mon cher cardinal.
--Moi, sire? Je n'ai point droit d'assister au conseil!
--Mais, moi, j'ai le droit de vous y inviter.
Ruffo s'inclina.
--J'accepte, sire, dit-il; d'autres y apporteront leur génie, j'y apporterai
mon dévouement.
--C'est bien. Dites à la reine que je serai demain au conseil à l'heure
qu'elle m'indiquera, c'est-à-dire à neuf heures. Votre Éminence entend?
--Oui, sire.
L'huissier se retira.
Ruffo allait le suivre, lorsqu'on entendit le galop d'un cheval qui passait
sous la voûte du palais.
Le roi saisit la main du cardinal.
--En tout cas, dit-il, voilà Ferrari qui part. Éminence, vous serez instruit
un des premiers, je vous le promets, de ce qu'aura répondu mon cher
neveu.
--Merci, sire.
--Bonne nuit à Votre Éminence... Ah! qu'ils se tiennent bien demain au
conseil! je préviens la reine et M. le capitaine général que je ne serai
pas de bonne humeur.
--Bah! sire, dit le cardinal en riant, la nuit portera conseil.
Le roi rentra dans sa chambre à coucher et sonna à briser la sonnette.
Le valet de chambre accourut tout effaré, croyant que le roi se trouvait
mal.
--Que l'on me déshabille et que l'on me couche! cria le roi d'une voix de
tonnerre; et, une autre fois, vous aurez soin que l'on ferme mes
jalousies, afin que l'on ne voie pas que ma chambre est éclairée à trois
heures du matin.
Disons maintenant ce qui s'était passé dans la chambre obscure de la
reine, tandis que ce que nous venons de raconter se passait dans la
chambre éclairée du roi.
XX
LA CHAMBRE OBSCURE
A peine la reine était-elle rentrée chez elle, que le capitaine général
Acton s'était fait annoncer en lui mandant qu'il avait deux nouvelles
importantes à lui communiquer; mais sans doute ce n'était pas lui que la
reine attendait ou n'était-il point le seul qu'elle attendit; car elle répondit
assez durement:
--C'est bien! qu'il entre au salon; aussitôt que je serai libre, j'irai le
rejoindre.
Acton était habitué à ces boutades royales. Depuis longtemps, entre la
reine et lui, il n'y avait plus d'amour; il était l'amant en titre comme il
était premier ministre; ce qui n'empêchait point qu'il n'y eût d'autres
ministres que lui.
Un lien politique rattachait seul l'un à l'autre ces deux anciens amants.
Acton avait besoin, pour rester au pouvoir, de l'influence que la reine
avait prise sur le roi, et la reine, pour ses vengeances ou ses sympathies,
qu'elle satisfaisait avec une égale passion, avait besoin du génie
intrigant d'Acton et de sa complaisance infinie, prête à tout supporter
pour elle.
La reine se dépouilla rapidement de toute sa toilette de gala, de ses
fleurs, de ses diamants, de ses pierreries; elle effaça et fit disparaître le
rouge dont les femmes et surtout les princesses couvraient leurs joues à
cette époque, passa un long peignoir blanc, prit une bougie, suivit un
couloir solitaire, et, après avoir traversé tout un appartement, elle arriva
à une chambre isolée, d'un ameublement sévère et communiquant à
l'extérieur avec un escalier secret dont la reine avait une clef, et son
sbire Pasquale de Simone une autre.
Les fenêtres de cette chambre restaient constamment fermées pendant
le jour, et pas le moindre rayon de lumière n'y pénétrait.
Une lampe de bronze occupait le centre de la table, où elle était scellée,
et un abat-jour posé sur la lumière était construit de manière à
concentrer cette lumière dans la circonférence de la table seulement, et
à laisser tout le reste de la chambre dans l'obscurité.
C'était là que l'on entendait les dénonciations. Si les dénonciateurs,
malgré l'ombre qui s'épaississait dans les profondeurs de la salle,
craignaient d'être reconnus, ils pouvaient entrer un masque sur le visage,
ou revêtir dans l'antichambre une de ces longues robes de pénitent qui
accompagnent le cadavre au cimetière ou le patient à l'échafaud:
linceuls effrayants qui rendent l'homme pareil à un spectre et qui, ne
laissant de passage qu'à la vue, font, des trous pratiqués à cet effet,
deux ouvertures pareilles aux orbites vides d'une tête de mort.
Les trois inquisiteurs qui s'asseyaient à cette table ont acquis une assez
triste célébrité pour faire leurs noms immortels; ils se nommaient
Castel-Cicala, ministre des affaires étrangères, Guidobaldi,
vice-président de la junte d'État en permanence depuis quatre ans, et
Vanni, procureur fiscal.
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