La San-Felice, Tome II | Page 4

Alexandre Dumas, père
sur une antichambre vide.
Jupiter alla droit à une porte opposée à celle par laquelle il était entré et
se dressa contre cette porte.
--Tout beau! dit le roi, tout beau!
Puis, se tournant vers Ruffo:
--Nous brûlons, cardinal, dit-il.
Et il ouvrit cette troisième porte.
Elle donnait sur un petit escalier. Jupiter s'y élança, monta rapidement
une vingtaine de marches, puis se mit à gratter la porte en poussant de
petits cris.
--Zitto! zitto! dit le roi.
Le roi ouvrit cette quatrième porte comme il avait ouvert les trois autres;

seulement, cette fois, il était arrivé au terme de son voyage: le courrier,
tout vêtu et tout éperonné, dormait sur un lit de camp.
--Hein! fit le roi, tout fier de l'intelligence de son chien; et quand je
pense que pas un de mes ministres, même celui de la police, n'aurait
fait ce que vient de faire mon chien!
Malgré l'envie qu'avait Jupiter de sauter sur le lit de son père nourricier
Ferrari, le roi lui fit un signe de la main, et il se tint tranquille derrière
lui.
Ferdinand alla droit au dormeur, et, du bout de la main, lui toucha
l'épaule.
Si légère qu'eut été la pression, celui-ci se réveilla immédiatement et se
mit sur son séant, regardant autour de lui avec cet oeil effaré de
l'homme que l'on éveille au milieu de son premier sommeil; mais,
aussitôt, reconnaissant le roi, il se laissa glisser de son lit de camp et se
tint debout et les coudes au corps, attendant les ordres de Sa Majesté.
--Peux-tu partir? lui demanda le roi.
--Oui, sire, répondit Ferrari.
--Peux-tu aller à Vienne sans t'arrêter?
--Oui, sire.
--Combien de jours te faut-il pour aller à Vienne?
--Au dernier voyage, sire, j'ai mis cinq jours et six nuits; mais je me
suis aperçu que je pouvais aller plus vite et gagner douze heures.
--Et à Vienne, combien de temps te faut-il pour te reposer?
--Le temps qu'il faudra à la personne à laquelle Votre Majesté écrit
pour me donner une réponse.
--Alors, tu peux être ici dans douze jours?

--Auparavant si l'on ne me fait pas attendre, et s'il ne m'arrive pas
d'accident.
--Tu vas descendre à l'écurie, seller un cheval toi-même; tu iras le plus
loin possible avec le même cheval, au risque de le forcer; tu le laisseras
chez un maître de poste quelconque et tu l'y reprendras à ton retour.
--Oui, sire.
--Tu ne diras à personne où tu vas.
--Non, sire.
--Tu remettras cette lettre à l'empereur lui-même et point à d'autres.
--Oui, sire.
--Et à qui que ce soit, même à la reine, tu ne laisseras prendre la
réponse.
--Non, sire.
--As-tu de l'argent?
--Oui, sire.
--Eh bien, pars, alors.
--Je pars, sire.
Et, en effet, le brave homme ne prit que le temps de glisser la lettre du
roi dans une petite poche de cuir pratiquée en manière de portefeuille
dans la doublure de sa veste, de mettre sous son bras un petit paquet
contenant un peu de linge et de se coiffer de sa casquette de courrier;
après quoi, sans en demander davantage, il s'apprêta à descendre
l'escalier.
--Eh bien, tu ne fais pas tes adieux à Jupiter? dit le roi.

--Je n'osais, sire, répondit Ferrari.
--Voyons, embrassez-vous; n'êtes-vous pas deux vieux amis, et tous les
deux à mon service?
L'homme et le chien se jetèrent dans les bras l'un de l'autre: tous deux
n'attendaient que la permission du roi.
--Merci, sire, dit le courrier.
Et il essuya une larme en se précipitant par les degrés pour rattraper le
temps perdu.
--Ou je me trompe fort, dit le cardinal, ou vous avez là un homme qui
se fera tuer pour vous à la première occasion, sire!
--Je le crois, dit le roi: aussi, je pense à lui faire du bien.
Ferrari avait disparu depuis longtemps que le roi et le cardinal n'étaient
point encore au bas de l'escalier.
Ils rentrèrent dans l'appartement du roi par le même chemin qu'ils
avaient pris pour en sortir, refermant derrière eux les portes qu'ils
avaient laissées ouvertes.
Un huissier de la reine attendait dans l'antichambre, porteur d'une lettre
de Sa Majesté.
--Oh! oh! fit le roi en regardant la pendule, à trois heures du matin? Ce
doit être quelque chose de bien important.
--Sire, la reine a vu votre chambre éclairée, et elle a pensé avec raison
que Votre Majesté n'était pas encore couchée.
Le roi ouvrit la lettre avec la répugnance qu'il mettait toujours à lire les
lettres de sa femme.
--Bon! dit-il aux premières lignes, c'est amusant: voilà ma partie de
chasse à tous les diables!

--Je n'ose demander à Votre Majesté ce que lui annonce cette lettre.
--Oh! demandez, demandez, Votre Éminence. Elle m'annonce qu'au
retour de la fête et à la suite de nouvelles importantes reçues, M. le
capitaine
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