secousse fatale.
Mais il ne garda pas longtemps cette illusion; la jeune femme s'était
probablement douté de ce qui se passait en lui, elle venait de se
rapprocher, et droite, calme, l'oeil limpide et clair, elle s'était prise à
sourire d'un air à la fois ironique et doux.
-- Non! non!... dit-elle d'un ton bien posé, je ne suis pas folle, quoique
l'on ait tout fait pour que je le devinsse; et tenez, écoutez-moi,
Monsieur: je n'ai aucune raison de vous cacher qui je suis, ni ce que je
suis: de plus, j'aurai tout à l'heure à réclamer de vous un service que
vous hésiteriez à rendre à une insensée. Prêtez-moi donc, je vous prie,
quelques minutes d'attention, et je vous dirai, comme si je parlais à
Dieu même, la faute qui est dans mon passé, et pour laquelle on m'a si
durement punie!...
Il y eut un moment de silence. Gaston était allé à la meurtrière et avait
jeté un regard au dehors.
La marée commençait à baisser; il ne pouvait plus songer à retourner à
bord, et il avait six heures au moins à passer dans le phare.
Il donna quelques ordres à ses hommes, et revint vers la jeune femme.
Elle l'attendait et l'invita du geste à se rasseoir; ce qu'il fit.
Puis, quand elle vit qu'il était disposé à l'écouter, elle s'assit à son tour
et reprit la parole.
-- Je m'appelle Fanny Stevenson, et j'aurai vingt-huit ans dans quelques
mois, dit-elle d'un ton ferme; ainsi que je vous l'ai dit, mon père était
capitaine d'armes, et naviguait souvent. J'avais perdu ma mère avant
que j'eusse pu la connaître, et j'avais été recueillie dans une famille
catholique où je reçus une éducation complète dont je profitai de mon
mieux.
Quoique bien jeune encore, j'avais compris que je ne devais rien
attendre de l'homme qui m'avait donné le jour. Mon père était un marin
grossier, imbu de préjugés enracinés, dont le coeur est toujours resté
fermé à toutes les délicatesses, à toutes les aspirations d'une nature
comme la mienne!
C'est à peine, si au retour de longs voyages, il consentait parfois à se
rappeler qu'il avait une fille.
Je vécus donc seule, livrée à moi-même, presque sans contrôle, et
exposée à des dangers dont je n'avais pas appris à démêler la gravité.
C'est ainsi que j'atteignis ma quinzième année! Je m'étais développée
très rapidement; j'étais grande et forte; on m'a dit souvent alors que
j'étais belle, et je ne cacherai pas que le sentiment de cette beauté
exceptionnelle m'avait communiqué une ambition fort au-dessus de ma
condition. Ce fut mon malheur.
Dans la famille qui m'avait recueillie et qui était française, on recevait
de loin en loin quelques jeunes gens qui venaient en Amérique chercher
fortune ou courir les aventures.
C'était là des distractions auxquelles je ne pouvais me montrer
indifférente, et il m'arriva bien souvent à, cette époque, de me laisser
aller à des relations qui, sans dépasser les limites des plus rigoureuses
convenances, n'étaient pas toujours d'une correction exempte de
reproches.
J'étais vive, j'aimais le plaisir, et je ne tenais pas toujours assez de
compte des observations bienveillantes que l'on m'adressait.
Pour tout dire, je commençais à supporter impatiemment les
remontrances dont j'étais l'objet, et plus d'une fois, je fus sur le point de
rompre brusquement avec mes hôtes, pour essayer d'une vie dont la
séduction avait profondément ébranlé les honnêtes résolutions
auxquelles je voulais rester attachée.
Les choses en étaient à ce point, quand il arriva dans la ville que nous
habitions un étranger qui, dès le premier jour, parut devoir prendre un
grand empire sur moi.
C'était un homme d'une trentaine d'années environ, d'un extérieur
charmant, de tournure aristocratique, et qui manifestement était bien
supérieur à tous les jeunes gens que j'avais rencontrés jusqu'alors.
Il s'appelait le comte de Simier, arrivait de Paris, et se rendait dans
l'Amérique du Sud, où il allait, disait-il, diriger une importante
exploitation.
À vrai dire, je ne m'intéressai que médiocrement à ce que le comte avait
fait, non plus qu'à l'avenir qu'il rêvait.
Je ne vis que lui... et dans la situation où je me trouvais, sa présence
exerça tout de suite une profonde impression sur mon esprit et sur mon
coeur.
Je n'avais jamais aimé encore, et il ne lui fut pas difficile de
s'apercevoir que je l'aimais...
D'ailleurs, je ne cherchais à rien cacher de ce qui se passait en moi...
J'avais remarqué, de mon côté, que le comte était empressé et ému
chaque fois qu'il me parlait, et il y a dans l'amour que l'on éprouve ou
dans celui que l'on inspire, un rayonnement dont on tenterait en vain
d'atténuer l'éclat.
Un mois s'était à peine écoulé, que j'étais sa maîtresse!
La jeune femme suspendit un moment son récit et prit sa tête dans ses
mains, comme
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.