elle."
Monsieur de Clèves sentit de la joie de voir que cette personne qu'il avoit trouvée si aimable étoit d'une qualité 30 proportionnée à sa beauté; il s'approcha d'elle, et il la supplia de se souvenir qu'il avait été le premier à l'admirer, et que, sans la conno?tre, il avoit eu pour elle tous les sentiments de respect et d'estime qui lui étoient dus.
[Page 8] Le chevalier de Guise et lui, qui étoient amis, sortirent ensemble de chez Madame. Ils louèrent d'abord Mademoiselle de Chartres sans se contraindre; ils trouvèrent enfin qu'ils la louoient trop, et ils cessèrent l'un et l'autre de dire ce qu'ils en pensoient; mais ils furent contraints 5 d'en parler les jours suivants partout où ils se rencontrèrent. Cette nouvelle beauté fut longtemps le sujet de toutes les conversations. La Reine lui donna de grandes louanges, et eut pour elle une considération extraordinaire; la Reine Dauphine en fit une de ses favorites, et pria Madame de 10 Chartres de la mener souvent chez elle; Mesdames filles du Roi l'envoyoient chercher pour être de tous leurs divertissements; enfin elle étoit aimée et admirée de toute la Cour, excepté de Madame de Valentinois.[1] Ce n'est pas que cette beauté lui donnat de l'ombrage: une trop longue expérience 15 lui avoit appris qu'elle n'avoit rien à craindre auprès du Roi; mais elle avoit tant de haine pour le vidame de Chartres, qu'elle avoit souhaité d'attacher à elle par le mariage d'une de ses filles, et qui s'étoit attaché à la Reine, qu'elle ne pouvoit regarder favorablement une personne qui portoit son 20 nom, et pour qui il faisoit paro?tre une grande amitié.
Le prince de Clèves devint passionnément amoureux de Mademoiselle de Chartres, et souhaitoit ardemment de l'épouser; mais il craignoit que l'orgueil de Madame de Chartres ne f?t blessé de donner sa fille à un homme qui 25 n'étoit pas l'a?né de sa maison. Cependant cette maison étoit si grande, que c'étoit plut?t la timidité que donne l'amour, que de véritables raisons, qui causoit les craintes de Monsieur de Clèves. Il avoit un grand nombre de rivaux: le chevalier de Guise lui paroissoit le plus redoutable par sa 30 naissance, par son mérite, et par l'éclat que la faveur donnoit à sa maison. Ce prince étoit devenu amoureux de Mademoiselle de Chartres le premier jour qu'il l'avoit vue; il s'étoit aper?u de la passion de Monsieur de Clèves, comme [Page 9] Monsieur de Clèves s'étoit aper?u de la sienne. Quoiqu'ils fussent amis, l'éloignement que donnent les mêmes prétentions ne leur avoit pas permis de s'expliquer ensemble, et leur amitié s'étoit refroidie sans qu'ils eussent eu la force de s'éclaircir. L'aventure qui étoit arrivée à Monsieur de 5 Clèves, d'avoir vu le premier Mademoiselle de Chartres, lui paroissoit un heureux présage, et sembloit lui donner quelque avantage sur ses rivaux; mais il prévoyoit de grands obstacles par le duc de Nevers, son père. Ce duc avoit d'étroites liaisons avec la duchesse de Valentinois; elle étoit 10 ennemie du Vidame, et cette raison étoit suffisante pour empêcher le duc de Nevers de consentir que son fils pensat à sa nièce.
Madame de Chartres, qui avoit eu tant d'application pour inspirer la vertu à sa fille, ne discontinua pas de prendre les 15 mêmes soins dans un lieu où ils étoient si nécessaires, et où il y avoit tant d'exemples si dangereux. Elle la pria, non pas comme sa mère, mais comme son amie, de lui faire confidence de toutes les galanteries qu'on lui diroit, et elle lui promit de lui aider à se conduire dans des choses où l'on 20 étoit souvent embarrassée quand on étoit jeune.
Le chevalier de Guise fit tellement paro?tre les sentiments et les desseins qu'il avoit pour Mademoiselle de Chartres, qu'ils ne furent ignorés de personne. Il ne voyoit néanmoins que de l'impossibilité dans ce qu'il désiroit: il savoit 25 bien qu'il n'étoit point un parti qui conv?nt à Mademoiselle de Chartres, par le peu de bien qu'il avoit pour soutenir son rang; et il savoit bien aussi que ses frères n'approuveroient pas qu'il se mariat, par la crainte de l'abaissement que les mariages des cadets apportent d'ordinaire dans les grandes 30 maisons.
Le prince de Clèves n'avoit pas donné des marques moins publiques de sa passion qu'avoit fait le chevalier de Guise. Le duc de Nevers apprit cet attachement avec chagrin; il [Page 10] crut néanmoins qu'il n'avoit qu'à parler à son fils pour le faire changer de conduite; mais il fut bien surpris de trouver en lui le dessein formé d'épouser Mademoiselle de Chartres. Il blama ce dessein, il s'emporta, et cacha si peu son emportement, que le sujet s'en répandit bient?t à la Cour, 5 et alla jusqu'à Madame de Chartres. Elle n'avoit pas mis en doute que Monsieur de Nevers ne regardat le mariage de sa
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