Sophie, qui commen?ait à s'amuser royalement de la situation. Là, vous me donnerez l'explication de votre singulier désir.
Elle passa devant, avec l'allure d'une souveraine, et il suivit docilement, comme un enfant ou un fol amoureux. La Schroeder alluma les bougies d'un candélabre en argent qui se trouvait, sur une console dorée, devant un trumeau, et se laissa choir, avec cette majesté qui sied mieux aux femmes opulentes que la grace aux maigres, sur le canapé, et indiqua un siège à son h?te, d'un geste plein de noblesse.
--Vous vous nommez?...
--Félicien Wasilewski.
--Donc monsieur Wa ... comment dites-vous?
--Wasilewski.
--C'est un nom difficile. Wasilewski, est-ce bien cela?
Le Polonais s'inclina.
--Et ce serait réellement le seul désir de vous approprier ma pantoufle, qui vous aurait fait pénétrer à une heure aussi insolite dans mon domicile?
--Je vous ai vue dans tous vos r?les. A chaque création nouvelle, grandissait mon admiration pour la grande tragédienne, ma?tresse de toutes les cordes du clavier humain, et mon adoration pour la belle artiste ...
--Je ne suis pas belle, Monsieur.
--Pour moi, vous êtes belle, et si vous ne l'êtes point, le sentiment que vous inspirez à mon coeur est encore cent fois plus idéal et plus sacré, puisqu'il vous rend belle, plus belle que toutes les femmes de la terre. Je vous aime.
--Monsieur!
--Pardonnez-moi, je ne puis faire autrement. Ce n'est point un enivrement de mes sens, un aveuglement de mon esprit, je dois vous aimer comme je dois respirer ... pour vivre.
Cette fois, la Schroeder baissa son regard altier.
--Monsieur, je serai sincère: l'intérêt que vous me portez a cessé, depuis longtemps, d'être un mystère pour moi. Vous l'avez exprimé si souvent, d'une manière aussi chevaleresque que délicate, mais je n'y voyais qu'un hommage à la tragédienne ...
--C'est plus, beaucoup plus, c'est tout ce qu'un coeur d'homme peut éprouver pour une femme ...
--Nous parlions de ma pantoufle, interrompit la jeune femme.
--Oui ... c'est vrai ... en effet. écoutez-moi donc. J'étais rempli d'admiration pour vous, je vous adorais, vous seule. Vint la soirée d'aujourd'hui. Je vous vis dans votre nouveau r?le et fus saisi d'un enthousiasme, d'un saint délire, qui me poussa à enfreindre toutes les règles des convenances et à déposer à vos pieds une couronne de lauriers, en vous dérobant, en échange, un objet quelconque qui vous e?t servi, et si ce n'était qu'un ruban. J'aper?us votre pantoufle ...
--Vous avez pénétré dans ma chambre à coucher? interrompit l'actrice en fron?ant les sourcils.
--Pardonnez-moi, supplia le jeune homme.
En pronon?ant ces mots, son regard avait une expression si enfantine, si sincère, sa main s'empara de celle de l'actrice avec une passion si convaincue, qu'elle ne se sentit pas le coeur de lui garder rancune.
--Je vous pardonne, dit-elle.
--Et ... vous me permettez de vous dire ... que je vous aime ...
--Non, pas cela.
--Vous me condamnez au silence?
--Je vous y condamne.
--Vous êtes cruelle.
--C'est la première fois qu'on me dit cela. Cruelle est la femme qui attire en souriant un homme dans ses filets pour, ensuite, s'en moquer et s'amuser de son tourment. Je ne suis pas une coquette, Monsieur, et l'on n'a jamais pu se plaindre que de ma franchise et de ma loyauté. Ne pas entretenir une vaine espérance, n'est pas cruel mais honnête.
--Je sais, Madame, que vous possédez cette loyauté de caractère, si rare dans le monde du théatre, et je sais aussi que vous êtes vertueuse.
--Oui et non, repartit l'actrice avec un sourire. Selon moi, la vertu ne consiste pas dans les principes, mais uniquement dans l'amour. Une femme qui, par amour du lucre et du luxe, accorde sa main à un homme qu'elle n'aime point, n'est pas moins vicieuse que Phryné qui vend ses faveurs. Le calcul est aussi répugnant que le dévergondage. En revanche, une jeune femme qui aime sincèrement, est toujours vertueuse, qu'elle offre ses lèvres roses au baiser dans une chambre nuptiale somptueusement décorée, ou sous les tilleuls et sur la bruyère, ainsi que chante le poète d'amour, Walther de la Vogelweide.
--Je vous comprends.
--Me comprenez-vous tout à fait?
--Je le crains.
--Reparlons de la pantoufle.
--Non, parlons du sentiment qui me domine et me remplit, qui me fait tressaillir au son de votre voix, au moindre froissement de votre robe. Ne croyez pas que je sois assez téméraire pour oser espérer être payé de retour. Je serais trop heureux déjà, de pouvoir, journellement, vous mettre et ?ter vos souliers, et vous offrir mon bras pour monter dans votre carrosse ...
--De tels rapports sont impossibles, déclara la jeune femme d'un ton ferme, du moins en ce qui me concerne. Une coquette prendrait sans doute quelque plaisir à recevoir ces hommages, et s'en ferait un jeu. Mais moi, je ne me sens pas capable d'occasionner des tourments que je ne pourrais apaiser, les augmenter, me para?trait indigne de moi. Je suis sincère, monsieur Wasilewski. Vous m'intéressez, mais je ne puis être à vous. C'est pourquoi, il
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