tressaillement d'extase et regarda autour de lui avec émotion.
--Que faites-vous? s'écria Babette qui l'avait suivi épouvantée, ne savez-vous pas que c'est ici un sanctuaire que le pied d'aucun mortel n'est autorisé à fouler?
--Laissez-moi jouir de ce moment divin, repartit le Polonais avec feu. C'est derrière ces rideaux que repose ce corps divin et, ce tapis, son pied l'effleure journellement!
Il s'agenouilla et baisa le tapis. En se relevant, il tenait à la main une pantoufle, qu'il brandit triomphalement.
--Vous vous demandez ce que vous allez me donner? chère, délicieuse Babette, donnez-moi cette pantoufle de l'immortelle, vous ferez de moi le plus heureux des mortels.
--Cette pantoufle moins que toute autre chose, repartit Babette, elle va rentrer et voudra la mettre.
--Plus jamais elle ne la mettra, s'écria l'amoureux d'un ton résolu.
En vain, l'excellente fille fit tous ses efforts pour la lui reprendre, le jeune homme échappait sans cesse à sa poursuite et elle dut lui faire la chasse, à travers toute la série des chambres, jusque dans la cuisine. Là, le Polonais prit son manteau, mit son chapeau et voulut sortir, mais Mlle Babette le retint, nouvelle Putiphar, par le pan de son manteau.
--Seigneur Dieu! gémit-elle, vous ferez encore mon malheur. Je ne vous laisserai point partir, monsieur le Comte, que vous ne m'ayez rendu la pantoufle.
--Je ne la rendrai qu'avec la vie.
--êtes-vous donc tout à fait fou?
--Je vous en donne son poids d'or, fit l'exalté en tirant de sa poche, sa main pleine de ducats qu'il jeta sur la table.
--Non, non, cria la malheureuse gouvernante avec angoisse, je ne veux pas de votre or, je ne prends point d'argent, je veux la pantoufle!
--Ayez pitié, donnez-la-moi!
--Pourquoi donc vous faut-il absolument cette pantoufle?
--La pantoufle de Sapho, reprit le gentilhomme avec solennité, pour y imprimer chaque jour mes lèvres, à l'endroit qu'a touché son doux pied.
--Mon Dieu, tout cela est bien bel et bon, soupira Mlle Babette, les chevaliers et les nobles brigands en agissaient ainsi; mais, si la pantoufle manque, je suis perdue. Rendez-la-moi.
--Babette, céleste Babette, pouvez-vous être assez cruelle pour m'arracher l'objet de mon adoration?
--Oui, je suis assez cruelle ... dit-elle en souriant, le r?le de cruelle lui plaisait évidemment.
--Même, si je vous implore à genoux?
Le jeune homme s'était jeté à ses pieds et levait la pantoufle d'un air suppliant.
--Mais, mon Dieu, que faites-vous donc?
Au même instant, la porte s'ouvrit, on per?ut un froissement de jupes, Babette poussa un cri et le Polonais, bondissant sur ses pieds, demeura comme pétrifié.
La Schroeder venait de para?tre sur le seuil. Elle portait encore le bandeau tissé d'or autour de sa tête et le péplum blanc de Sapho. Elle n'avait quitté que son manteau, le rempla?ant par sa chaude pelisse.
Sophie se présentait la tête haute, dans toute sa majesté, ses formes opulentes et son bras robuste entourés de la sombre fourrure, comme sur l'image fameuse que nous possédons d'elle.
Un regard, un éclair de ses yeux qui eut relégué dans l'ombre toutes les impératrices et les princesses régnantes que les Viennois avaient eu récemment le loisir d'admirer au grand Congrès, et le jeune enthousiaste se trouva à genoux.
Elle fit deux pas en avant et s'arrêta, comme une souveraine devant un esclave qui s'est attiré le plus terrible chatiment. Les yeux de la tragédienne le fixèrent un moment, puis, se tournant vers Babette:
--Que se passe-t-il? questionna-t-elle. Comment Monsieur se trouve-t-il dans ma demeure? et qui l'a autorisé à y pénétrer?
Mlle Babette, rouge jusqu'aux oreilles, se tenait, les jambes tremblantes, comme une pécheresse.
--Il ... je ... parce que ... balbutia-t-elle.
--Je demande une réponse. Qui a fait entrer Monsieur?
Wasilewski se releva.
--Ne la grondez pas, dit-il, elle ne pouvait faire autrement. Mon enthousiasme pour vous, Madame, a triomphé de ses résistances. Je suis le seul coupable, le seul.
--Vous avouez donc?
--Je ne nie point, je demande grace.
--Vous reconnaissez votre faute?
--Grace!
L'actrice ne put s'empêcher de sourire.
--D'abord l'instruction et la sentence. La grace ne vient qu'ensuite.
--Oui, punissez-moi, supplia le gentilhomme d'une voix tremblante d'amour et, un peu aussi, de crainte. Punissez-moi cruellement, le chatiment même que vous m'infligerez, me sera une joie et une consolation.
--Avant tout, je désire savoir ce que vous vouliez de ma fidèle Babette et pourquoi vous lui avez offert de l'argent.
--Je l'ai priée, répondit loyalement et simplement le jeune homme, de me donner la pantoufle de Sapho et, comme elle me la refusait et cherchait à me l'arracher, je lui ai offert ...
Il se tut en baissant les yeux.
--Une poignée d'or pour une vieille pantoufle? railla la Schroeder, tandis qu'un charmant sourire éclairait son austère visage. Mais où donc est ce précieux objet? Je suis lasse et en ai besoin pour me reposer...
--Oserais-je vous prier de me laisser gracieusement ce que Mlle Babette m'a si impitoyablement refusé?
--Quelle valeur attribuez-vous donc à cette pantoufle? questionna la tragédienne, s'égayant de plus en plus.
--Je ne puis vous dire cela ici ...
--Suivez-moi donc au salon, dit
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