La Mort amoureuse, poésie | Page 7

Huguette Bertrand
espaces particuliers
et rien
entre les lignes n'est laissé au hasard
ils ne pèsent pas lourd dans la
mémoire
je les apprivoise
et je leur propose des organisations de
toutes sortes
ils s'écrivent comme des enfants blessés mais toujours
renouvelés
une guerre synthétique et brutale s'est soudainement abattue sur mes
rêveries elle m'a cloué le bec au silence des morts
elle montra la nuit
au grand jour
elle souleva une tempête noire
comme le temps efface tout bouleversement
je crois que je m'en
remettrai
je sens circuler à nouveau l'âge du monde dans mes veines
j'ai envie
de m'éclater sur d'autres continents
d'explorer le mystère des mots de
l'autre côté du miroir
car mon temps rapetisse
comme une laine

ébouillantée
il se repose
souillé par les jours passés dans
l'engrenage des machines
il n'est pas en phase terminale
il s'est simplement tu pour un moment
il rêve peut-être aux pierres concassées du mur de Berlin
de ce qu'il
en ferait si on les jetait toutes dans mon jardin il rêve dans mon lit

tandis que moi je réfléchis sur ce que pourra bien être demain j'anticipe
la fatigue gagne du terrain
j'ai la bouche cousue à mes rêves
et ma
parole s'y promène en silence
c'est un de ces matins qui ne semblent
pas vouloir se lever malgré un soleil époustouflant qui incendie les
alentours
je demeure toujours en attente d'un sujet qui ne tardera pas
le temps et la distance me questionnent
je les sens parfois bouger au
fond de moi
ce goût de poème dans la bouche me rassure
mes
lèvres voudront-elles encore prononcer des mots d'ambiance qui
s'offriront gratuitement au monde
le doute m'habite
ma mémoire tourne en rond autour de moi
s'arrête
parfois à la croisée de mon enfance
je me retrouve au milieu d'un
paysage
ses senteurs franches ravivent mes lointaines amours
sur
les pentes
dans les champs
près d'un ruisseau
en haut d'un cerisier

je me raccroche à la case départ
parce que je hais la mort
je
participe déjà à l'aventure
en survolant mon impitoyable quotidien
je ne crains ni la mer ni les nuages
mais plutôt le bruit des hélices
je m'éloignerai pour un temps
mais je reviendrai
rapportant des
paroles sur mesure
et des boutures de rêves que j'étalerai sur le rebord
de ma fenêtre
en ce moment je préfère laisser éclore le présent
j'ai décidé que la
journée pouvait bien commencer sans moi
je ne suis plus disponible

je suis occupée à ériger un mur de lumière autour d'une mort

inévitable et combien arrogante
une liberté sauvage m'interpelle
je ne réponds pas
je reste assise au
bord du lit à mimer la surdité
ma main ne répond plus à l'écriture

mes mots piétinent s'entredéchirent
puis s'en vont mourir au bout de
ma folie passagère
je me recouche en me disant que la journée peut bien galvauder autour
de moi pour aller ensuite refroidir au fond d'une tasse
ça ne me
concerne plus
ça va trop vite
j'ai le vertige
est-ce que je rêve
suis-je morte sans
avertissement
le rideau tombe sous une pluie de murmures en liberté
des rires
éclatent sous les tanks
dans mon espace des masses informes se
dessinent
et je suis obligée de les ordonner selon un rythme
tantôt
égal
tantôt inégal
je fais face à l'éternel retour du corps devenu fauve
j'ai appris à
l'apprivoiser dès l'envol
cela éreinte quelque peu ma mémoire
me
renvoie une brassée de pensées fraîchement cueillies
que je suspends
toujours sur une corde à linge
pour faire chanter le vent
quand je respire
je fais attention à ne pas alerter le voisinage
ce truc
en pièces détachées ne peut servir de sujet de conversation je ne fais
que l'observer à travers mes hésitations
je prends une dernière gorgée
de silence
avant que ne s'éteignent tous les mouvements de masse

qui gravitent autour d'un tout petit rien
cet épouvantable petit rien fait
basculer les amours
et les haines
c'est effectivement une mise en
scène
que le scénario n'avait pas prévue
je n'ai d'autre choix que de faire quelques brèches
dans le pourquoi
qui me pousse à étaler mon quotidien
dans un champ de vision
tellement étroit
que ça ne laisse passer qu'un filet de voix

ceux d'à-côté sont là à vouloir décomposer mon présent
pour en faire
un objet de silence
je longe un long corridor du côté du passé simple

me réfugie en un lieu conçu pour absorber la grogne du jour
hélas la nuit n'est pas venue hier
j'ai oublié de sonner
qu'importe
d'autres nuits viendront
et s'ensuivra une déflagration que le monde
n'a encore jamais connue
je sens que le temps n'est plus à la fiction
mais plutôt à la
lubrification des peaux desséchées
je ne suis plus à l'ordre du jour
dès que ma nuit s'endort
je pratique le silence sans intention
malfaisante
tout pareil à la mort
à ses moments hermétiques
c'est un peu comme ces histoires qui n'intéressent personne sauf la
personne qui les raconte
mais elle pense qu'elle ne peut pas
parce
qu'en réalité ce ne sont pas de vraies histoires
ce sont des souvenirs
effarouchés
trop lointains pour être racontés
parfois le dimanche
dans mes moments de répit
j'étale tous mes
mots sur le divan
je les livre à l'assaut des passants
sans cesse ils défilent dans mon salon
parmi les cadavres mutilés du
pouvoir
ensuite ils s'en retournent silencieusement à
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