La Mort amoureuse, poésie | Page 6

Huguette Bertrand
retour du déluge
mes paroles se sont répandues entre
les gratte-ciel
et les aller-retours des sans-desseins
sous les
parapluies du «monde à pied»
sur des avenues encombrées de
rumeurs
et de boucane
parmi les vivants et les morts
dans les
fours à pain noir
au tournant de la nuit
ses cordes à linges vides
la
puanteur du ciel
les bonheurs qu'on baptise jour après jour
dans un
silence infernal
et la poussière de l'absence
quand la langue brûle
trop près du coeur

DÉRAPAGE
J'ai la savate qui claque
sous l'oeil démesuré de la nuit
ses gestes
d'infortunes
durant les saisons mortes
dans les petites villes
détestables
près de la rivière génétique de nos songes
j'ai la savate qui dérape
quand mes mots deviennent liquides
sur la
dernière étoile du corps amoureux

ROUGE LE MONDE
Vous avez laissé échapper des souvenirs sur le trottoir
piétiné les

miens mortellement
graffiti sur les places
et rouge le monde
les mains propres
visage à découvert
vous me ressemblez à mourir

MÉNAGERIE DE PORCELAINE
Au bout de son sang
la terre recensa ses êtres blêmes
cette
ménagerie de porcelaine
circulant dans le calcaire des villes muettes
c'était végétal et animal blessé
frères et soeurs aussi
venus vivre le
vertige des vivants
sous un ciel en or massif
traînant leurs grosses
pattes
dans les égouts de l'imaginaire
qu'un vent favorable peignait
parfois en rose
parfois en gris
c'était je pense un incident
à classer dans «faits divers»

NUS COMME DES GLAIVES
Les nuits sont trop courtes
les jours meurent trop vite
le temps
veille à la lumière des mots
qu'une guitare accompagne
sur la neige
dorée
des enfants circulent dans les veines du passé
ils caressent les orages
dans la fièvre de leurs envolées
et nus comme des glaives
ils
s'entendent pour rire jusqu'au sang
désespérées
leurs blessures se jettent par la fenêtre
quand le soir se
love dans le cou de l'hiver

PLAISIR DES PAUMES
Comme vous dessinez bien sur ma vie
quand votre murmure trace les

lignes de mon corps
évoquant l'oiseau imaginé
ses ailes de feu
figurant sur vos paumes
Comme vous dessinez bien sur mon corps
quand vos paumes d'oiseau
invoquent le plaisir
survolent les couleurs de ce lent destin
né
agonisant
Comme vous dessinez bien sur mon âme
à genoux
devant la
légèreté des mots qui naissent
sous les draps

PLEIN MATIN
Si vous voulez savoir où je suis
vous n'avez qu'à vous rendre au bord
d'une rivière
sur la pointe des pieds
le temps où personne ne regarde

le temps de délier ma chair
et faire le plein du matin
le temps de
rêver au fil de l'eau
sans déranger les verbes
le temps d'accorder
mes mots sur les vôtres
le temps d'un enfant qui vous regarde venir

le temps de noyer le temps
et votre image dans la mienne
le silence est un projet qui me secoue franchement

VERTIGES DE L'EAU
Il se peut que tes douleurs me portent
jusqu'à la racine de NOUS

lorsque ma chair foule ma chair
invente une colère
pareille aux
vertiges de l'eau
il se peut que je nourrisse ce désordre
en sirotant un café
comme
une vieille amie refroidie au fond d'elle-même
mais toujours
remodelée
par la vague successive des heures
il se peut aussi
que j'aie envie d'aller coucher ma vie sur la tienne

éprouvant en secret le désastre de nos deuils
et l'humour

BLEU DÉSERT
Au milieu d'un désert bleu
je suis infiniment azurée
parmi les corps
plus grands que nature
et je roule dans le demi-sourire de l'aube

vers d'autres mirages
prenant forme de tout
l'hiver dans ses fourrures m'attend

LE FAUX DU FAUX
Quand mes yeux eurent conquis le soleil
mon coeur s'est réfugié

sous les cendres de mon désir
condamnant les abus du jour
mais le ciel en a vu d'autres
et les fous se sont empressés de m'inclure

dans un commercial à rabais
en attendant que la mort crache sur
leurs gilets
surtout les fins de semaine
maîtres féconds
ils ont toujours eu l'amour au large
loin de la
vieillesse
leur sagesse comme une vertu détraquée

CETTE CHOSE QUI NOUS DÉSIRE TANT
On retombe toujours en soi
dans les poudreries du coeur
et les
singeries perpétuelles d'une mort promise
souffle après souffle
Jours par-dessus nuits, elle rôde sous des traits tout à fait naturels, sans
gravité, nous jetant à la figure des questions de commencements et de
fins. J'avoue que je ne tiens plus à fréquenter les phrases intéressées par
la chose. Cette chose qui nous arrache aux heures, fait grésiller nos
secondes, ingurgite nos devenirs, vient trop souvent interrompre les
conversations. Cette chose qui nous désire tant. Laissons-la attendre.
Ça lui fera une belle jambe!

MÉMOIRE COMPACTE
Il fait un temps rigide ce matin
un jour lunaire à vous croquer la chair

j'ai décidé de me terrer à l'intérieur de moi-même
sans rien dire

puisque tout a été dit
j'y retrouve les terres vierges qui m'habitent
elles convergent toutes
vers le centre
là oû nos préoccupations nous rassemblent
sans cesse
je colle ma peau à celle des autres
je voyage à travers la peau des
autres
tel un vice perpétuel
puisque hier n'est plus
qu'aujourd'hui ne ressemble à personne
j'ai
décidé d'épousseter ma mémoire
je pourrai ensuite savourer l'ordre
des choses
sans déplacer les générations
j'expérimenterai alors le
pouls du monde
c'est un peu comme marcher sur une corde raide

mais j'ai le goût du risque
mes mots explosent
je leur aménage des
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