La Marquise | Page 5

George Sand
aussi coupable envers lui que vous l'avez pens��.
--Je vous ai parfaitement comprise, lui r��pondis-je; c'est vous dire que je vous plains et que je vous estime. Vous avez fait aux moeurs de votre temps un v��ritable sacrifice, et vous f?tes pers��cut��e parce que vous valiez mieux que ces moeurs-l��. Avec un peu plus de force morale, vous eussiez trouv�� dans la vertu tout le bonheur que vous ne trouvates point dans une intrigue. Mais laissez-moi m'��tonner d'un fait: c'est que vous n'ayez point rencontr��, dans tout le cours de votre vie, un seul homme capable de vous comprendre et digne de vous convertir au v��ritable amour. Faut-il en conclure que les hommes d'aujourd'hui valent mieux que les hommes d'autrefois?
--Ce serait de votre part une grande fatuit��, me r��pondit-elle en riant. J'ai fort peu �� me louer des hommes de mon temps, et cependant je doute que vous ayez fait beaucoup de progr��s; mais ne moralisons point. Qu'ils soient ce qu'ils sont; la faute de mon malheur, est toute �� moi; je n'avais pas l'esprit de le juger. Avec ma sauvage fiert��, il aurait fallu ��tre une femme sup��rieure, et choisir d'un coup d'oeil d'aigle entre tous ces hommes si plats, si faux et si vides, un de ces ��tres vrais et nobles, qui sont rares et exceptionnels dans tous les temps. J'��tais trop ignorante, trop born��e pour cela. A force de vivre, j'ai acquis plus de jugement: je me suis aper?ue que certains d'entre eux, que j'avais confondus dans ma peine, m��ritaient d'autres sentiments; mais alors j'��tais vieille. Il n'��tait plus temps de m'en aviser.
--Et tant que vous f?tes jeune, repris-je, vous ne f?tes pas une seule fois tent��e de faire un nouvel essai? Cette aversion farouche n'a jamais ��t�� ��branl��e? Cela est ��trange.?

III.
La marquise garda un instant le silence; mais tout �� coup, posant avec bruit sur la table sa tabati��re d'or, qu'elle avait longtemps roul��e entre ses doigts, ?Eh bien, puisque j'ai commenc�� �� me confesser, dit-elle, je veux tout avouer. ��coutez bien:
?Une fois, une seule fois dans ma vie j'ai ��t�� amoureuse, mais amoureuse comme personne ne l'a ��t��, d'un amour passionn��, indomptable, d��vorant, et pourtant id��al et platonique s'il en fut. Oh! cela vous ��tonne bien d'apprendre qu'une marquise du dix-huiti��me si��cle n'ait eu dans toute sa vie qu'un amour, et un amour platonique! C'est que, voyez-vous, mon enfant, vous autres jeunes gens, vous croyez bien conna?tre les femmes, et vous n'y entendez rien. Si beaucoup de vieilles de quatre-vingts ans se mettaient �� vous raconter franchement leur vie, peut-��tre d��couvririez-vous dans l'ame f��minine des sources de vice et de vertu dont vous n'avez pas l'id��e.
Maintenant devinez de quel rang fut l'homme pour qui, moi, marquise, et marquise hautaine et fi��re entre toutes, je perdis tout �� fait la t��te.
--Le roi de France ou le dauphin Louis XVI.
--Oh! si vous d��butez ainsi, il vous faudra trois heures pour arriver jusqu'�� mon amant. J'aime mieux vous le dire: c'��tait un com��dien.
--C'��tait toujours bien un roi, j'imagine.
--Le plus noble et le plus ��l��gant qui monta jamais sur les planches. Vous n'��tes pas surpris?
--Pas trop. J'ai ou? dire que ces unions disproportionn��es n'��taient pas rares, m��me dans le temps o�� les pr��jug��s avaient le plus de force en France. Laquelle des amies de madame d'��pinay vivait donc avec J��liotte?
--Comme vous connaissez notre temps! Cela fait piti��. Eh! c'est pr��cis��ment parce que ces traits-l�� sont consign��s dans les m��moires, et cit��s avec ��tonnement, que vous devriez conclure leur raret�� et leur contradiction avec les moeurs du temps. Soyez s?r qu'ils faisaient d��s lors un grand scandale; et lorsque vous entendez parler d'horribles d��pravations, du duc de Guiche et de Manicamp, de madame de Lionne et de sa fille, vous pouvez ��tre assur�� que ces choses-l�� ��taient aussi r��voltantes au temps o�� elles se pass��rent qu'au temps o�� vous les lisez. Croyez-vous donc que ceux dont la plume indign��e vous les a transmises fussent les seuls honn��tes gens de France??
Je n'osais point contredire la marquise. Je ne sais lequel de nous deux ��tait comp��tent pour juger la question. Je la ramenai �� son histoire, qu'elle reprit ainsi:
?Pour vous prouver combien peu cela ��tait tol��r��, je vous dirai que la premi��re fois que je le vis, et que j'exprimai mon admiration �� la comtesse de Ferri��res, qui se trouvait aupr��s de moi, elle me r��pondit: ?Ma toute belle, vous ferez bien de ne pas dire votre avis si chaudement devant une autre que moi; on vous raillerait cruellement si l'on vous soup?onnait d'oublier qu'aux yeux d'une femme bien n��e un com��dien ne peut pas ��tre un homme.?
Cette parole de madame de Ferri��res me resta dans l'esprit, je ne sais pourquoi. Dans la situation o�� j'��tais, ce ton de m��pris me paraissait absurde; et cette crainte que je ne vinsse �� me compromettre
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 20
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.