La Marquise | Page 4

George Sand
faire enfin un choix, comme disaient mes compagnes. Je ne pouvais pas me marier, ��tant m��re, et, n'ayant confiance �� la bont�� d'aucun homme, je ne croyais pas avoir ce droit. C'��tait donc un amant qu'il me fallait accepter pour ��tre au niveau de la compagnie o�� j'��tais jet��e. Je me d��terminai en faveur de ce provincial, dont le nom et l'��tat dans le monde me couvraient d'une assez belle protection. C'��tait le vicomte de Larrieux.
Il m'aimait lui, et dans la sinc��rit�� de son ame! Mais son ame! en avait-il une? C'��tait un de ces hommes froids et positifs qui n'ont pas m��me pour eux l'��l��gance du vice et l'esprit du mensonge. Il m'aimait �� son ordinaire, comme mon mari m'avait quelquefois aim��e. Il n'��tait frapp�� que de ma beaut��, et ne se mettait pas en peine de d��couvrir mon coeur. Chez lui ce n'��tait pas d��dain, c'��tait ineptie. S'il e?t trouv�� en moi la puissance d'aimer, il n'e?t pas su comment y r��pondre.
Je ne crois pas qu'il ait exist�� un homme plus mat��riel que ce pauvre Larrieux. Il mangeait avec volupt��, il s'endormait sur tous les fauteuils, et le reste du temps il prenait du tabac. Il ��tait ainsi toujours occup�� �� satisfaire quelque app��tit physique. Je ne pense pas qu'il e?t une id��e par jour.
Avant de l'��lever jusqu'�� mon intimit��, j'avais de l'amiti�� pour lui, parce que si je ne trouvais en lui rien de grand, du moins je n'y trouvais rien de m��chant; et en cela seul consistait sa sup��riorit�� sur tout ce qui m'entourait. Je me flattai donc, en ��coutant ses galanteries, qu'il me r��concilierait avec la nature humaine, et je me confiai �� sa loyaut��. Mais �� peine lui eus-je donn�� sur moi ces droits que les femmes faibles ne reprennent jamais, qu'il me pers��cuta d'un genre d'obsession insupportable, et r��duisit tout son syst��me d'affection aux seuls t��moignages qu'il f?t capable d'appr��cier.
Vous voyez, mon ami, que j'��tais tomb��e de Charybde en Scylla. Cet homme, qu'�� son large app��tit et �� ses habitudes du sieste j'avais cru d'un sang si calme, n'avait m��me pas en lui le sentiment de cette forte amiti�� que j'esp��rais rencontrer. Il disait en riant qu'il lui ��tait impossible d'avoir de l'amiti�� pour une belle femme. Et si vous saviez ce qu'il appelait l'amour!
Je n'ai point la pr��tention d'avoir ��t�� p��trie d'un autre limon que toutes les autres cr��atures humaines. �� pr��sent que je ne suis plus d'aucun sexe, je pense que j'��tais alors tout aussi femme qu'une autre, mais qu'il a manqu�� au d��veloppement de mes facult��s de rencontrer un homme que je pusse aimer assez pour jeter un peu de po��sie sur les faits de la vie animale. Mais cela n'��tant point, vous-m��me, qui ��tes un homme, et par cons��quent moins d��licat sur cette perception de sentiment, vous devez comprendre le d��go?t qui s'empare du coeur quand on se soumet aux exigences de l'amour sans en avoir compris les besoins. En trois jours le vicomte de Larrieux me devint insoutenable.
Eh bien! mon cher, je n'eus jamais l'��nergie de me d��barrasser de lui! Pendant soixante ans il a fait mon tourment et ma sati��t��. Par complaisance, par faiblesse ou par ennui, je l'ai support��. Toujours m��content de mes r��pugnances, et toujours attir�� vers moi par les obstacles que je mettais �� sa passion, il a eu pour moi l'amour le plus patient, le plus courageux, le plus soutenu et le plus ennuyeux qu'un homme ait jamais eu pour une femme.
Il est vrai que, depuis que je l'avais ��rig�� aupr��s de moi en protecteur, mon r?le dans le monde ��tait infiniment moins d��sagr��able. Les hommes n'osaient plus me rechercher; car le vicomte ��tait un terrible ferrailleur et un atroce jaloux. Les femmes, qui avaient pr��dit que j'��tais incapable de fixer un homme, voyaient avec d��pit le vicomte encha?n�� �� mon char; et peut-��tre entrait-il dans ma patience envers lui un peu de cette vanit�� qui ne permet point �� une femme de para?tre d��laiss��e. Il n'y avait pourtant pas de quoi se glorifier beaucoup dans la personne de ce pauvre Larrieux; mais c'��tait un fort bel homme; il avait du coeur, il savait se taire �� propos, il menait un grand train de vie, il ne manquait pas non plus de cette fatuit�� modeste qui fait ressortir le m��rite d'une femme. Enfin, outre que les femmes n'��taient point du tout d��daigneuses de cette fastidieuse beaut�� qui me semblait ��tre le principal d��faut du vicomte, elles ��taient surprises du d��vouement sinc��re qu'il me marquait, et le proposaient pour mod��le �� leurs amants. Je m'��tais donc plac��e dans une situation envi��e; mais cela, je vous assure, me d��dommageait m��diocrement des ennuis de l'intimit��. Je les supportai pourtant avec r��signation, et je gardai �� Larrieux une inviolable fid��lit��. Voyez, mon cher enfant, si je fus
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