La Maison Tellier | Page 4

Guy de Maupassant
temps que Madame ��tait encore aubergiste �� Yvetot, elle avait tenu sur les fonts baptismaux la fille de ce fr��re qu'elle nomma Constance, Constance Rivet; ��tant elle-m��me une Rivet par son p��re. Le menuisier, qui savait sa soeur en bonne position, ne la perdait pas de vue, bien qu'ils ne se rencontrassent pas souvent, retenus tous les deux par leurs occupations et habitant du reste loin l'un de l'autre. Mais comme la fillette allait avoir douze ans, et faisait, cette ann��e-l��, sa premi��re communion, il saisit cette occasion d'un rapprochement, et il ��crivit �� sa soeur qu'il comptait sur elle pour, la c��r��monie. Les vieux parents ��taient morts, elle ne pouvait refuser �� sa filleule; elle accepta. Son fr��re, qui s'appelait Joseph, esp��rait qu'�� force de pr��venances il arriverait peut-��tre �� obtenir qu'on f?t un testament en faveur de la petite, Madame ��tant sans enfants.
La profession de sa soeur ne g��nait nullement ses scrupules, et, du reste, personne dans le pays ne savait rien. On disait seulement en parlant d'elle: ?Madame Tellier est une bourgeoise de F��camp?, ce qui laissait supposer qu'elle pouvait vivre de ses rentes. De F��camp �� Virville on comptait au moins vingt lieues; et vingt lieues de terre pour des paysans sont plus difficiles �� franchir que l'Oc��an pour un civilis��. Les gens de Virville n'avaient jamais d��pass�� Rouen; rien n'attirait ceux de F��camp dans un petit village de cinq cents feux, perdu au milieu des plaines et faisant partie d'un autre d��partement. Enfin on ne savait rien.
Mais, l'��poque de la communion approchant, Madame ��prouva un grand embarras. Elle n'avait point de sous-ma?tresse, et ne se souciait nullement de laisser sa maison, m��me pendant un jour. Toutes les rivalit��s entre les dames d'en haut et celles d'en bas ��clateraient infailliblement; puis Fr��d��ric se griserait sans doute, et quand il ��tait gris, il assommait les gens pour un oui ou pour un non. Enfin elle se d��cida �� emmener tout son monde, sauf le gar?on �� qui elle donna sa libert�� jusqu'au surlendemain.
Le fr��re consult�� ne fit aucune opposition, et se chargea de loger la compagnie enti��re pour une nuit. Donc, le samedi matin, le train express de huit heures emportait Madame et ses compagnes dans un wagon de seconde classe.
Jusqu'�� Beuzeville elles furent seules et jacass��rent comme des pies. Mais �� cette gare un couple monta. L'homme, vieux paysan v��tu d'une blouse bleue, avec un col pliss��, des manches larges serr��es aux poignets et orn��es d'une petite broderie branche, couvert d'un antique chapeau de forme haute dont le poil roussi semblait h��riss��, tenait d'une main un immense parapluie vert, et de l'autre un vaste panier qui laissait passer les t��tes effar��es de trois canards. La femme, raide en sa toilette rustique, avait une physionomie de poule avec un nez pointu comme un bec. Elle s'assit en face de son homme et demeura sans bouger, saisie de se trouver au milieu d'une aussi belle soci��t��.
Et c'��tait, en effet, dans le wagon un ��blouissement de couleurs ��clatantes. Madame, tout en bleu, en soie bleue des pieds �� la t��te, portait l��-dessus un chale de faux cachemire fran?ais, rouge, aveuglant, fulgurant. Fernande soufflait dans une robe ��cossaise dont le corsage, lac�� �� toute force par ses compagnes, soulevait sa croulante poitrine en un double d?me toujours agit�� qui semblait liquide sous l'��toffe.
Rapha?le, avec une coiffure emplum��e simulant un nid plein d'oiseaux, portait une toilette lilas, paillet��e d'or, quelque chose d'oriental qui seyait �� sa physionomie de Juive. Rosa la Rosse, en jupe rose �� larges volants, avait l'air d'une enfant trop grasse, d'une naine ob��se; et les deux Pompes semblaient s'��tre taill�� des accoutrements ��tranges au milieu de vieux rideaux de fen��tre, ces vieux rideaux �� ramages datant de la Restauration.
Sit?t qu'elles ne furent plus seules dans le compartiment, ces dames prirent une contenance grave, et se mirent �� parler de choses relev��es pour donner bonne opinion d'elles. Mais �� Bolbec apparut un monsieur �� favoris blonds, avec des bagues et une cha?ne en or, qui mit dans le filet sur sa t��te plusieurs paquets envelopp��s de toile cir��e. Il avait un air farceur et bon enfant. Il salua, sourit et demanda avec aisance:--?Ces dames changent de garnison??--Cette question jeta dans le groupe une confusion embarrass��e. Madame enfin reprit contenance, et elle r��pondit s��chement, pour venger l'honneur du corps:--?Vous pourriez bien ��tre poli!?--Il s'excusa:--?Pardon, je voulais dire de monast��re.?--Madame ne trouvant rien �� r��pliquer, ou jugeant peut-��tre la rectification suffisante, fit un salut digne en pin?ant les l��vres.
Alors le monsieur, qui se trouvait assis entre Rosa la Rosse et le vieux paysan, se mit �� cligner de l'oeil aux trois canards dont les t��tes sortaient du grand panier; puis, quand il sentit qu'il captivait d��j�� son public, il commen?a �� chatouiller ces animaux sous le bec, en leur tenant
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