La Maison Tellier | Page 3

Guy de Maupassant
dirent la chose, dont il fut d'autant plus affect�� que lui, mari��, p��re de famille et fort surveill��, ne venait l�� que le samedi, ?_securitatis causa_?, disait-il, faisant allusion �� une mesure de police sanitaire dont le docteur Borde, son ami, lui avait r��v��l�� les p��riodiques retours. C'��tait justement son soir et il allait se trouver ainsi priv�� pour toute la semaine.
Les trois hommes firent un grand crochet jusqu'au quai, trouv��rent en route le jeune M. Philippe, fils du banquier, un habitu��, et M. Pimpesse, le percepteur. Tous ensemble revinrent alors par la rue ?aux Juifs? pour essayer une derni��re tentative. Mais les matelots exasp��r��s faisaient le si��ge de la maison, jetaient des pierres, hurlaient; et les cinq clients du premier ��tage, rebroussant chemin le plus vite possible, se mirent �� errer par les rues.
Ils rencontr��rent encore M. Dupuis, l'agent d'assurances, puis M. Vasse, le juge au tribunal de commerce; et une longue promenade commen?a qui les conduisit �� la jet��e d'abord. Ils s'assirent en ligne sur le parapet de granit et regard��rent moutonner les flots. L'��cume, sur la cr��te des vagues, faisait dans l'ombre des blancheurs lumineuses, ��teintes presque aussit?t qu'apparues, et le bruit monotone de la mer brisant contre les rochers se prolongeait dans la nuit tout le long de la falaise. Lorsque les tristes promeneurs furent rest��s l�� quelque temps, M. Tournevau d��clara:--??a n'est pas gai.?--?Non certes,? repr?t M. Pimpesse; et ils repartirent �� petits pas.
Apr��s avoir long�� la rue que domine la c?te et qu'on appelle: ?Sous-le-bois?, ils revinrent par le pont de planches sur la Retenue, pass��rent pr��s du chemin de fer et d��bouch��rent de nouveau place du March��, o�� une querelle commen?a tout �� coup entre le percepteur, M. Pimpesse, et le saleur, M. Tournevau, �� propos d'un champignon comestible que l'un d'eux affirmait avoir trouv�� dans les environs.
Les esprits ��tant aigris par l'ennui, on en serait peut-��tre venu aux voies de fait si les autres ne s'��taient interpos��s. M. Pimpesse, furieux, se retira; et aussit?t une nouvelle altercation s'��leva entre l'ancien maire, M. Poulin, et l'agent d'assurances, M. Dupuis, au sujet des appointements du percepteur et des b��n��fices qu'il pouvait se cr��er. Les propos injurieux pleuvaient des deux c?t��s, quand une temp��te de cris formidables se d��cha?na, et la troupe des matelots, fatigu��s d'attendre en vain devant une maison ferm��e, d��boucha sur la place. Ils se tenaient par le bras, deux par deux, formant une longue procession, et ils vocif��raient furieusement. Le groupe des bourgeois se dissimula sous une porte, et la horde hurlante disparut dans la direction de l'abbaye. Longtemps encore on entendit la clameur diminuant comme un orage qui s'��loigne; et le silence se r��tablit.
M. Poulin et M. Dupuis, enrag��s l'un contre l'autre, partirent, chacun de son c?t��, sans se saluer.
Les quatre autres se remirent en marche, et redescendirent instinctivement vers l'��tablissement Tellier. Il ��tait toujours clos, muet, imp��n��trable. Un ivrogne, tranquille et obstin��, tapait des petits coups dans la devanture du caf��, puis s'arr��tait pour appeler �� mi-voix le gar?on Fr��d��ric. Voyant qu'on ne lui r��pondait point, il prit le parti de s'asseoir sur la marche de la porte, et d'attendre les ��v��nements.
Les bourgeois allaient se retirer quand la bande tumultueuse des hommes du port reparut au bout de la rue. Les matelots fran?ais braillaient la _Marseillaise_, les anglais le Rule Britannia. Il y eut un ruement g��n��ral contre les murs, puis le flot de brutes reprit son cours vers le quai, o�� une bataille ��clata entre les marins des deux nations. Dans la rixe, un Anglais eut le bras cass��, et un Fran?ais le nez fendu.
L'ivrogne, qui ��tait rest�� devant la porte, pleurait maintenant comme pleurent les pochards ou les enfants contrari��s.
Les bourgeois, enfin, se dispers��rent.
Peu �� peu le calme revint sur la cit�� troubl��e. De place en place, encore par instants, un bruit de voix s'��levait, puis s'��teignait dans le lointain.
Seul, un homme errait toujours, M. Tournevau, le saleur, d��sol�� d'attendre au prochain samedi; et il esp��rait on ne sait quel hasard, ne comprenant pas, s'exasp��rant que la police laissat fermer ainsi un ��tablissement d'utilit�� publique qu'elle surveille et tient sous sa garde.
Il y retourna, flairant les murs, cherchant la raison; et il s'aper?ut que sur l'auvent une pancarte ��tait coll��e. Il alluma bien vite une allumette-bougie, et lut ces mots trac��s d'une grande ��criture in��gale: ?_Ferm�� pour cause de premi��re communion_.?
Alors il s'��loigna, comprenant bien que c'��tait fini.
L'ivrogne maintenant dormait, ��tendu tout de son long en travers de la porte inhospitali��re.
Et le lendemain, tous les habitu��s, l'un apr��s l'autre, trouv��rent moyen de passer dans la rue avec des papiers sous le bras pour se donner une contenance; et, d'un coup d'oeil furtif, chacun lisait l'avertissement myst��rieux: ?_Ferm�� pour cause de premi��re communion_.?

II
C'est que Madame avait un fr��re ��tabli menuisier en leur pays natal, Virville, dans l'Eure. Du
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