sous un cygne. On parvenait dans ce lieu au moyen d'un escalier tournant termin�� par une porte ��troite, humble d'apparence, donnant sur la rue, et au-dessus de laquelle brillait toute la nuit, derri��re un treillage, une petite lanterne comme celles qu'on allume encore en certaines villes aux pieds des madones encastr��es dans les murs.
Le batiment, humide et vieux, sentait l��g��rement le moisi. Par moments, un souffle d'eau de Cologne passait dans les couloirs, ou bien une porte entr'ouverte en bas faisait ��clater dans toute la demeure, comme une explosion de tonnerre, les cris populaciers des hommes attabl��s au rez-de-chauss��e, et mettait sur la figure des messieurs du premier une moue inqui��te et d��go?t��e.
_Madame_, famili��re avec les clients ses amis, ne quittait point le salon, et s'int��ressait aux rumeurs de la ville qui lui parvenaient par eux. Sa conversation grave faisait diversion aux propos sans suite des trois femmes; elle ��tait comme un repos dans le badinage polisson des particuliers ventrus qui se livraient chaque soir �� cette d��bauche honn��te et m��diocre de boire un verre de liqueur en compagnie de filles publiques.
Les trois dames du premier s'appelaient Fernande, Rapha?le et Rosa la Rosse.
Le personnel ��tant restreint, on avait tach�� que chacune d'elles f?t comme un ��chantillon, un r��sum�� de type f��minin, afin que tout consommateur p?t trouver l��, �� peu pr��s du moins, la r��alisation de son id��al.
Fernande repr��sentait la _belle blonde_, tr��s grande, presque ob��se, molle, fille des champs dont les taches de rousseur se refusaient �� dispara?tre, et dont la chevelure filasse, ��court��e, claire et sans couleur, pareille �� du chanvre peign��, lui couvrait insuffisamment le crane.
Rapha?le, une Marseillaise, roulure des ports de mer, jouait la r?le indispensable de la _belle Juive_, maigre, avec des pommettes saillantes platr��es de rouge. Ses cheveux noirs, lustr��s �� la moelle de boeuf, formaient des crochets sur ses tempes. Ses yeux eussent paru beaux si le droit n'avait ��t�� marqu�� d'une taie. Son nez arqu�� tombait sur une machoire accentu��e o�� deux dents neuves, en haut, faisaient tache �� c?t�� de celles du bas qui avaient pris en vieillissant une teinte fonc��e comme les bois anciens.
Rosa la Rosse, une petite boule de chair tout en ventre avec des jambes minuscules, chantait du matin au soir, d'une voix ��raill��e, des couplets alternativement grivois ou sentimentaux, racontait des histoires interminables et insignifiantes, ne cessait de parler que pour manger et de manger que pour parler, remuait toujours, souple comme un ��cureuil malgr�� sa graisse et l'exigu?t�� de ses pattes; et son rire, une cascade de cris aigus, ��clatait sans cesse, de-ci, de-l��, dans une chambre, au grenier, dans le caf��, partout, �� propos de rien.
Les deux femmes du rez-de-chauss��e, Louise, surnomm��e Cocote, et Flora, dite Balan?oire parce qu'elle boitait un peu, l'une toujours en _Libert��_ avec une ceinture tricolore, l'autre en Espagnole de fantaisie avec des sequins de cuivre qui dansaient dans ses cheveux carotte �� chacun de ses pas in��gaux, avaient l'air de filles de cuisine habill��es pour un carnaval. Pareilles �� toutes les femmes du peuple, ni plus laides, ni plus belles, vraies servantes d'auberge, on les d��signait dans le port sous le sobriquet des deux Pompes.
Une paix jalouse, mais rarement troubl��e, r��gnait entre ces cinq femmes, grace �� la sagesse conciliante de Madame et �� son intarissable bonne humeur.
L'��tablissement, unique dans la petite ville, ��tait assid?ment fr��quent��. Madame avait su lui donner une tenue si comme il faut; elle se montrait si aimable, si pr��venante envers tout le monde; son bon coeur ��tait si connu, qu'une sorte de consid��ration l'entourait. Les habitu��s faisaient des frais pour elle, triomphaient quand elle leur t��moignait une amiti�� plus marqu��e; et lorsqu'ils se rencontraient dans le jour pour leurs affaires, ils se disaient: ?�� ce soir, o�� vous savez?, comme on se dit: ?Au caf��, n'est-ce pas? apr��s d?ner.?
Enfin la maison Tellier ��tait une ressource, et rarement quelqu'un manquait au rendez-vous quotidien.
Or, un soir, vers la fin du mois de mai, le premier arriv��, M. Poulin, marchand de bois et ancien maire, trouva la porte close. La petite lanterne, derri��re son treillage, ne brillait point; aucun bruit ne sortait du logis, qui semblait mort. Il frappa, doucement d'abord, avec plus de force ensuite; personne ne r��pondit. Alors il remonta la rue �� petits pas, et, comme il arrivait sur la place du March��, il rencontra M. Duvert, l'armateur, qui se rendait au m��me endroit. Ils y retourn��rent ensemble sans plus de succ��s. Mais un grand bruit ��clata soudain tout pr��s d'eux, et, ayant tourn�� la maison, ils aper?urent un rassemblement de matelots anglais et fran?ais qui heurtaient �� coups de poing les volets ferm��s du caf��.
Les deux bourgeois aussit?t s'enfuirent pour n'��tre pas compromis; mais un l��ger ?pss't? les arr��ta: c'��tait M. Tournevau, le saleur de poisson, qui, les ayant reconnus, les h��lait. Ils lui
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