La Main Gauche | Page 8

Guy de Maupassant
semblait vide et mon existence d��serte. Puis des id��es inqui��tantes me passaient par l'esprit. Je craignais qu'ont l'e?t enlev��e, ou assassin��e peut-��tre. Mais comme j'essayais toujours d'interroger Mohammed et de lui communiquer mes appr��hensions, il r��pondait sans varier:
--Non, parti.
Puis il ajoutait le mot arabe ?r'��zale? qui veut dire ?gazelle,? comme pour exprimer qu'elle courait vite et qu'elle ��tait loin.
Trois semaines se pass��rent et je n'esp��rais plus revoir jamais ma ma?tresse arabe, quand un matin, Mohammed, les traits ��clair��s par la joie, entra chez moi et me dit:
--Moussi��, Allouma il est revenu.
Je sautai du lit et je demandai:
--O�� est-elle?
--N'ose pas venir! L��-bas, sous l'arbre! Et de son bras tendu, il me montrait par la fen��tre une tache blanchatre au pied d'un olivier.
Je me levai et je sortis. Comme j'approchais de ce paquet de linge qui semblait jet�� contre le tronc tordu, je reconnus les grands yeux sombres, les ��toiles tatou��es, la figure longue et r��guli��re de la fille sauvage qui m'avait s��duit. A mesure que j'avan?ais une col��re me soulevait, une envie de frapper, de la faire souffrir, de me venger.
Je criai de loin:
--D'o�� viens-tu?
Elle ne r��pondit pas et demeurait immobile, inerte, comme si elle ne vivait plus qu'�� peine, r��sign��e �� mes violences, pr��te aux coups.
J'��tais maintenant debout tout pr��s d'elle, contemplant avec stupeur les haillons qui la couvraient, ces loques de soie et de laine, grises de poussi��re, d��chiquet��es, sordides.
Je r��p��tai, la main lev��e comme sur un chien.
--D'o�� viens-tu?
Elle murmura:
--De l��-bas!
--D'o��?
--De la tribu!
--De quelle tribu?
--De la mienne.
--Pourquoi es-tu partie?
Voyant que je ne la battais point, elle s'enhardit un peu, et, �� voix basse:
--Il fallait... il fallait... je ne pouvais plus vivre dans la maison.
Je vis des larmes dans ses yeux, et tout de suite, je fus attendri comme une b��te. Je me penchai vers elle, et j'aper?us, en me retournant pour m'asseoir, Mohammed qui nous ��piait, de loin.
Je repris, tr��s doucement:
--Voyons, dis-moi pourquoi tu es partie?
Alors elle me conta que depuis longtemps d��j�� elle ��prouvait en son coeur de nomade, l'irr��sistible envie de retourner sous les tentes, de coucher, de courir, de se rouler sur le sable, d'errer, avec les troupeaux, de plaine en plaine, de ne plus sentir sur sa t��te, entre les ��toiles jaunes du ciel et les ��toiles bleues de sa face, autre chose que le mince rideau de toile us��e et recousue �� travers lequel on aper?oit des grains de feu quand on se r��veille dans la nuit.
Elle me fit comprendre cela en termes na?fs et puissants, si justes, que je sentis bien qu'elle ne mentait pas, que j'eus piti�� d'elle, et que je lui demandai:
--Pourquoi ne m'as-tu pas dit que tu d��sirais t'en aller pendant quelque temps?
--Parce que tu n'aurais pas voulu...
--Tu m'aurais promis de revenir et j'aurais consenti.
--Tu n'aurais pas cru.
Voyant que je n'��tais pas fach��, elle riait, et elle ajouta:
--Tu vois, c'est fini, je suis retourn��e chez moi et me voici. Il me fallait seulement quelques jours de l��-bas. J'ai assez maintenant, c'est fini, c'est pass��, c'est gu��ri. Je suis revenue, je n'ai plus mal. Je suis tr��s contente. Tu n'es pas m��chant.
--Viens �� la maison, lui dis-je.
Elle se leva. Je pris sa main, sa main fine aux doigts minces; et triomphante en ses loques, sous la sonnerie de ses anneaux, de ses bracelets, de ses colliers et de ses plaques, elle marcha gravement vers ma demeure, o�� nous attendait Mohammed.
Avant d'entrer, je repris:
--Allouma, toutes les fois que tu voudras retourner chez toi, tu me pr��viendras et je te le permettrai.
Elle demanda, m��fiante:
--Tu promets?
--Oui, je promets.
--Moi aussi, je promets. Quand j'aurai mal--et elle posa ses deux mains sur son front avec un geste magnifique--je te dirai: ?Il faut que j'aille l��-bas? et tu me laisseras partir.
Je l'accompagnai dans sa chambre, suivi de Mohammed qui portait de l'eau, car on n'avait pu pr��venir encore la femme d'Abd-el-Kader-el-Hadara du retour de sa ma?tresse.
Elle entra, aper?ut l'armoire �� glace et, la figure illumin��e, courut vers elle comme on s'��lance vers une m��re retrouv��e. Elle se regarda quelques secondes, fit la moue, puis d'une voix un peu fach��e, dit au miroir:
--Attends, j'ai des v��tements de soie dans l'armoire. Je serai belle tout �� l'heure.
Et je la laissai seule, faire la coquette devant elle-m��me.
Notre vie recommen?a comme auparavant et, de plus en plus, je subissais l'attrait bizarre, tout physique, de cette fille pour qui j'��prouvais en m��me temps une sorte de d��dain paternel.
Pendant six mois tout alla bien, puis je sentis qu'elle redevenait nerveuse, agit��e, un peu triste. Je lui dis, un jour:
--Est-ce que tu veux retourner chez toi?
--Oui, je veux.
--Tu n'osais pas me le dire?
--Je n'osais pas.
--Va, je permets.
Elle saisit mes mains et les baisa comme elle faisait en tous ses ��lans de reconnaissance, et, le lendemain, elle avait disparu.
Elle revint, comme la premi��re fois, au bout de trois semaines environ, toujours d��guenill��e, noire de poussi��re
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