La Main Gauche | Page 7

Guy de Maupassant
saint; et elle parlait, �� mi-voix, elle lui parlait, se croyant bien seule avec lui, racontant au serviteur de Dieu toutes ses pr��occupations. Parfois elle se taisait un peu pour m��diter, pour chercher ce qu'elle avait encore �� dire, pour ne rien oublier de sa provision de confidences; et parfois aussi elle s'animait comme s'il lui e?t r��pondu, comme s'il lui e?t conseill�� une chose qu'elle ne voulait point faire et qu'elle combattait avec des raisonnements.
Je m'��loignai, sans bruit, ainsi que j'��tais venu, et je rentrai pour d?ner.
Le soir, je la fis venir et je la vis entrer avec un air soucieux qu'elle n'avait point d'ordinaire.
--Assieds-toi l��, lui dis-je en lui montrant sa place sur le divan, �� mon c?t��.
Elle s'assit et comme je me penchais vers elle pour l'embrasser elle ��loigna sa t��te avec vivacit��.
Je fus stup��fait et je demandai:
--Eh bien, qu'y a-t-il?
--C'est Ramadan, dit-elle.
Je me mis �� rire.
--Et le Marabout t'a d��fendu de te laisser embrasser pendant le Ramadan?
--Oh oui, je suis une Arabe et tu es un Roumi!
--Ce serait un gros p��ch��?
--Oh oui!
--Alors tu n'as rien mang�� de la journ��e, jusqu'au coucher du soleil?
--Non, rien.
--Mais au soleil couch�� tu as mang��?
--Oui.
--Eh bien, puisqu'il fait nuit tout �� fait tu ne peux pas ��tre plus s��v��re pour le reste que pour la bouche.
Elle semblait crisp��e, froiss��e, bless��e et elle reprit avec une hauteur que je ne lui connaissais pas.
--Si une fille arabe se laissait toucher par un Roumi pendant le Ramadan, elle serait maudite pour toujours.
--Et cela va durer tout le mois.
Elle r��pondit avec conviction:
--Oui, tout le mois de Ramadan.
Je pris un air irrit�� et je lui dis:
--Eh bien, tu peux aller le passer dans ta famille, le Ramadan.
Elle saisit mes mains et les portant sur son coeur:
--Oh! je te prie, ne sois pas m��chant, tu verras comme je serai gentille. Nous ferons Ramadan ensemble, veux-tu? Je te soignerai, je te gaterai, mais ne sois pas m��chant.
Je ne pus m'emp��cher de sourire tant elle ��tait dr?le et d��sol��e, et je l'envoyai coucher chez elle.
Une heure plus tard, comme j'allais me mettre au lit, deux petits coups furent frapp��s �� ma porte, si l��gers que je les entendis �� peine.
Je criai: ?Entrez? et je vis appara?tre Allouma portant devant elle un grand plateau charg�� de friandises arabes, de croquettes sucr��es, frites et saut��es, de toute une patisserie bizarre de nomade.
Elle riait, montrant ses belles dents, et elle r��p��ta:
--Nous allons faire Ramadan ensemble.
Vous savez que le je?ne, commenc�� �� l'aurore et termin�� au cr��puscule, au moment o�� l'oeil ne distingue plus un fil blanc d'un fil noir, est suivi chaque soir de petites f��tes intimes o�� on mange jusqu'au matin. Il en r��sulte que, pour les indig��nes peu scrupuleux, le Ramadan consiste �� faire du jour la nuit, et de la nuit le jour. Mais Allouma poussait plus loin la d��licatesse de conscience. Elle installa son plateau entre nous deux, sur le divan, et prenant avec ses longs doigts minces une petite boulette poudr��e, elle me la mit dans la bouche en murmurant:
--C'est bon, mange.
Je croquai, le l��ger gateau qui ��tait excellent en effet, et je lui demandai:
--C'est toi qui as fait ?a?
--Oui, c'est moi?
--Pour moi?
--Oui, pour toi.
--Pour me faire supporter le Ramadan.
--Oui, ne sois pas m��chant! Je t'en apporterai tous les jours.
Oh! le terrible mois que je passai l��! un mois sucr��, douceatre, enrageant, un mois de gateries et de tentations, de col��res et d'efforts vains contre une invincible r��sistance.
Puis, quand arriv��rent les trois jours du Be?ram, je les c��l��brai �� ma fa?on et le Ramadan fut oubli��.
L'��t�� s'��coula, il fut tr��s chaud. Vers les premiers jours de l'automne, Allouma me parut pr��occup��e, distraite, d��sint��ress��e de tout.
Or, un soir, comme je la faisais appeler, on ne la trouva point dans sa chambre. Je pensai qu'elle r?dait dans la maison et j'ordonnai qu'on la cherchat. Elle n'��tait pas rentr��e; j'ouvris la fen��tre et je criai:
--Mohammed.
La voix de l'homme couch�� sous sa tente r��pondit:
--Oui, moussi��.
--Sais-tu o�� est Allouma?
--Non, moussi��--pas possible--Allouma perdu?
Quelques secondes apr��s, mon Arabe entrait chez moi, tellement ��mu qu'il ne ma?trisait point son trouble. Il demanda:
--Allouma perdu?
--Mais oui, Allouma perdu.
--Pas possible?
--Cherche, lui dis-je?
Il restait debout, songeant, cherchant, ne comprenant pas. Puis, il entra dans la chambre vide o�� les v��tements d'Allouma tra?naient, dans un d��sordre oriental. Il regarda tout comme un policier, ou plut?t il flaira comme un chien, puis, incapable d'un long effort, il murmura avec r��signation:
--Parti, il est parti!
Moi je craignais un accident, une chute, une entorse au fond d'un ravin, et je fis mettre sur pied tous les hommes du campement avec ordre de la chercher jusqu'�� ce qu'on l'e?t retrouv��e.
On la chercha toute la nuit, on la chercha le lendemain, on la chercha toute la semaine. Aucune trace ne fut d��couverte pouvant mettre sur la piste. Moi je souffrais; elle me manquait; ma maison me
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