La Main Gauche | Page 9

Guy de Maupassant
et de soleil, rassasi��e de vie nomade, de sable et de libert��. En deux ans elle retourna ainsi quatre fois chez elle.
Je la reprenais ga?ment, sans jalousie, car pour moi la jalousie ne petit na?tre que de l'amour, tel que nous le comprenons chez nous. Certes, j'aurais fort bien pu la tuer si je l'avais surprise me trompant, mais je l'aurais tu��e un peu comme on assomme, par pure violence, un chien qui d��sob��it. Je n'aurais pas senti ces tourments, ce feu rongeur, ce mal horrible, la jalousie du Nord. Je viens de dire que j'aurais pu la tuer comme on assomme un chien qui d��sob��it! Je l'aimais en effet, un peu comme on aime un animal tr��s rare, chien ou cheval, impossible �� remplacer. C'��tait une b��te admirable, une b��te sensuelle, une b��te �� plaisir, qui avait un corps de femme.
Je ne saurais vous exprimer quelles distances incommensurables s��paraient nos ames, bien que nos coeurs, peut-��tre, se fussent fr?l��s, ��chauff��s l'un l'autre, par moments. Elle ��tait quelque chose de ma maison, de ma vie, une habitude fort agr��able �� laquelle je tenais et qu'aimait en moi l'homme charnel, celui qui n'a que des yeux et des sens.
Or, un matin Mohammed entra chez moi avec une figure singuli��re, ce regard inquiet des arabes qui ressemble au regard fuyant d'un chat en face d'un chien.
Je lui dis, en apercevant cette figure.
--Hein? qu'y a-t-il?
--Allouma il est parti.
Je me mis �� rire.
--Parti, o�� ?a?
--Parti tout �� fait, moussi��!
--Comment, parti tout �� fait?
--Oui, moussi��.
--Tu es fou, mon gar?on?
--Non, moussi��.
--Pourquoi ?a parti? Comment? Voyons? Explique-toi!
Il demeurait immobile, ne voulant pas parler; puis, soudain il eut une de ces explosions de col��re arabe qui nous arr��tent dans les rues des villes devant deux ��nergum��nes, dont le silence et la gravit�� orientales font place brusquement aux plus extr��mes gesticulations et aux vocif��rations les plus f��roces.
Et je compris au milieu de ces cris qu'Allouma s'��tait enfuie avec mon berger.
Je dus calmer Mohammed et tirer de lui, un �� un, des d��tails.
Ce fut long, j'appris enfin que depuis huit jours il ��piait ma ma?tresse qui avait des rendez-vous, derri��re les bois de cactus voisins ou dans le ravin de lauriers-roses, avec une sorte de vagabond, engag�� comme berger par mon intendant, �� la fin du mois pr��c��dent.
La nuit derni��re, Mohammed l'avait vue sortir sans la voir rentrer; et il r��p��tait, d'un air exasp��r��.
--Parti, moussi��, il est parti!
Je ne sais pourquoi, mais sa conviction, la conviction de cette fuite avec ce r?deur, ��tait entr��e en moi, en une seconde, absolue, irr��sistible. Cela ��tait absurde, invraisemblable et certain en vertu de l'irraisonnable qui est la seule logique des femmes.
Le coeur serr��, une col��re dans le sang, je cherchais �� me rappeler les traits de cet homme, et je me souvint tout �� coup que je l'avais vu, l'autre semaine, debout sur une butte de terre, au milieu de son troupeau, et me regardant. C'��tait une sorte de grand b��douin dont la couleur des membres nus se confondait avec celle des haillons, un type de brute barbare aux pommettes saillantes, au nez crochu, au menton fuyant, aux jambes s��ches, une haute carcasse en guenilles avec des yeux faux de chacal.
Je ne doutais point--oui--elle avait fui avec ce gueux. Pourquoi? Parce qu'elle ��tait Allouma, une fille du sable. Une autre, �� Paris, fille du trottoir aurait fui avec mon cocher ou avec un r?deur de barri��re.
--C'est bon, dis-je �� Mohammed. Si elle est partie, tant pis pour elle. J'ai des lettres �� ��crire. Laisse-moi seul.
Il s'en alla, surpris de mon calme. Moi, je me levai, j'ouvris ma fen��tre et je me mis �� respirer par grands souffles qui m'entraient au fond de la poitrine, l'air ��touffant venu du Sud, car le sirocco soufflait.
Puis je pensai: ?Mon Dieu, c'est une... une femme, comme bien d'autres. Sait-on... sait-on ce qui les fait agir, ce qui les fait aimer, suivre ou lacher un homme??
Oui, on sait quelquefois--souvent, on ne sait pas. Par moments, on doute?
Pourquoi a-t-elle disparu avec cette brute r��pugnante? Pourquoi? Peut-��tre parce que depuis un mois le vent vient du Sud presque r��guli��rement.
Cela suffit! un souffle! Sait-elle, savent-elles, le plus souvent, m��me les plus fines et les plus compliqu��es, pourquoi elles agissent? Pas plus qu'une girouette qui tourne au vent. Une brise insensible fait pivoter la fl��che de fer, de cuivre, de t?le ou de bois, de m��me qu'une influence imperceptible, une impression insaisissable remue, et pousse, aux r��solutions le coeur changeant des femmes, qu'elles soient des villes, des champs, des faubourgs ou du d��sert.
Elle peuvent sentir, ensuite; si elles raisonnent et comprennent, pourquoi elles ont fait ceci plut?t que cela; mais sur le moment elles l'ignorent, car elles sont les jouets de leur sensibilit�� �� surprises, les esclaves ��tourdies des ��v��nements, des milieux, des ��motions, des rencontres et de tous les effleurements dont
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