La Main Gauche | Page 6

Guy de Maupassant
des tapis dans la chambre, au bout du couloir, et tu feras venir ici pour la servir la femme d'Abd-el-Kader-el-Hadara.
--Oui, moussi��.
Ce fut tout.
Une heure plus tard, ma belle Arabe ��tait install��e dans une grande chambre claire; et comme je venais m'assurer que tout allait bien, elle me demanda, d'un ton suppliant, de lui faire cadeau d'une armoire �� glace. Je promis, puis je la laissai accroupie sur un tapis du Djebel-Amour, une cigarette �� la bouche, et bavardant avec la vieille Arabe que j'avais envoy�� chercher, comme si elles se connaissaient depuis des ann��es.

II
Pendant un mois, je fus tr��s heureux avec elle et je m'attachai d'une fa?on bizarre �� cette cr��ature d'une autre race, qui me semblait presque d'une autre esp��ce, n��e sur une plan��te voisine.
Je ne l'aimais pas--non--on n'aime point les filles de ce continent primitif. Entre elles et nous, m��me entre elles et leurs males naturels, les Arabes, jamais n'��cl?t la petite fleur bleue des pays du Nord. Elles sont trop pr��s de l'animalit�� humaine, elles ont un coeur trop rudimentaire, une sensibilit�� trop peu affin��e, pour ��veiller dans nos ames l'exaltation sentimentale qui est la po��sie de l'amour. Rien d'intellectuel, aucune ivresse de la pens��e ne se m��le �� l'ivresse sensuelle que provoquent en nous ces ��tres charmants et nuls.
Elles nous tiennent pourtant, elles nous prennent, comme les autres, mais d'une fa?on diff��rente, moins tenace, moins cruelle, moins douloureuse.
Ce que j'��prouvai pour celle-ci, je ne saurais encore l'expliquer d'une fa?on pr��cise. Je vous disais tout �� l'heure que ce pays, cette Afrique nue, sans arts, vide de toutes les joies intelligentes, fait peu �� peu la conqu��te de notre chair par un charme inconnaissable et s?r, par la caresse de l'air, par la douceur constante des aurores et des soirs, par sa lumi��re d��licieuse, par le bien-��tre discret dont elle baigne tous nos organes! Eh bien! Allouma me prit de la m��me fa?on, par mille attraits cach��s, captivants et physiques, par la s��duction p��n��trante non point de ses embrassements, car elle ��tait d'une nonchalance toute orientale, mais de ses doux abandons.
Je la laissais absolument libre d'aller et de venir �� sa guise et elle passait au moins une apr��s-midi sur deux dans le campement voisin, au milieu des femmes de mes agriculteurs indig��nes. Souvent aussi, elle demeurait durant une journ��e presque enti��re, �� se mirer dans l'armoire �� glace en acajou que j'avais fait venir de Miliana. Elle s'admirait en toute conscience, debout, devant la grande porte de verre o�� elle suivait ses mouvements avec une attention profonde et grave. Elle marchait la t��te un peu pench��e en arri��re, pour juger ses hanches et ses reins, tournait, s'��loignait, se rapprochait, puis, fatigu��e enfin de se mouvoir, elle s'asseyait sur un coussin et demeurait en face d'elle-m��me, les yeux dans ses yeux, le visage s��v��re, l'ame noy��e dans cette contemplation.
Bient?t, je m'aper?us qu'elle sortait presque chaque jour apr��s le d��jeuner, et qu'elle disparaissait compl��tement jusqu'au soir.
Un peu inquiet, je demandai �� Mohammed s'il savait ce qu'elle pouvait faire pendant ces longues heures d'absence. Il r��pondit avec tranquillit��:
--Ne te tourmente pas, c'est bient?t le Ramadan. Elle doit aller �� ses d��votions.
Lui aussi semblait ravi de la pr��sence d'Allouma dans la maison; mais pas une fois je ne surpris entre eux le moindre signe un peu suspect, pas une fois, ils n'eurent l'air de se cacher de moi, de s'entendre, de me dissimuler quelque chose.
J'acceptais donc la situation telle quelle sans la comprendre, laissant agir le temps, le hasard et la vie.
Souvent, apr��s l'inspection de mes terres, de mes vignes, de mes d��frichements, je faisais �� pied de grandes promenades. Vous connaissez les superbes for��ts de cette partie de l'Alg��rie, ces ravins presque imp��n��trables o�� les sapins abattus barrent les torrents, et ces petits vallons de lauriers-roses qui, du haut des montagnes, semblent des tapis d'Orient ��tendus le long des cours d'eau. Vous savez qu'�� tout moment, dans ces bois et sur ces c?tes, o�� on croirait que personne jamais n'a p��n��tr��, on rencontre tout �� coup le d?me de neige d'une koubba renfermant les os d'un humble marabout, d'un marabout isol��, �� peine visit�� de temps en temps par quelques fid��les obstin��s, venus du douar voisin avec une bougie dans leur poche pour l'allumer sur le tombeau du saint.
Or, un soir, comme je rentrais, je passai aupr��s d'une de ces chapelles mahom��tanes, et ayant jet�� un regard par la porte toujours ouverte, je vis qu'une femme priait devant la relique. C'��tait un tableau charmant, cette Arabe assise par terre, dans cette chambre d��labr��e, o�� le vent entrait �� son gr�� et amassait dans les coins, en tas jaunes, les fines aiguilles s��ches tomb��es des pins. Je m'approchai pour mieux regarder, et je reconnus Allouma. Elle ne me vit pas, ne m'entendit point, absorb��e tout enti��re par le souci du
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