excellent de roturier, qu'elle aurait aimé comme un marquis si elle avait eu le temps. Mais il mourut le 31 juillet 1830, six mois après la naissance de sa fille. La belle veuve fut tellement outrée de la révolution de Juillet,[14] qu'elle en oublia presque de pleurer son mari. Les embarras de la succession et le soin des forges la retinrent à Arlange jusqu'au choléra de 1832,[15] qui lui enleva en quelques jours son père et sa mère. Elle revint alors à Paris, vendit le Bon saint Louis, et acheta son h?tel de la rue Saint-Dominique, entre le comte de Preux et la maréchale de Lens. Elle s'établit avec sa fille dans son nouveau domicile, et ce n'est pas sans une joie secrète qu'elle se vit logée dans un h?tel de noble apparence, entre un comte et une maréchale. Son mobilier était plus riche que le mobilier de ses voisins, sa serre plus grande, ses chevaux de meilleure race et ses voitures mieux suspendues. Cependant elle aurait donné de bon coeur serre, mobilier, chevaux et voitures pour avoir le droit de voisiner un brin. Les murs de son jardin n'avaient pas plus de quatre mètres de haut, et, dans les soirées tranquilles de l'été, elle entendait causer,[16] tant?t chez le comte, tant?t chez la maréchale. Malheureusement il ne lui était pas permis de prendre part à la conversation. Un matin, son jardinier lui apporta un vieux cacatoès qu'il avait pris sur un arbre. Elle rougit de plaisir en reconnaissant le perroquet de la maréchale. Elle ne voulut céder à personne le plaisir de rendre ce bel oiseau à sa ma?tresse, et, au risque d'avoir les mains déchiquetées à coups de bec, elle le reporta elle-même. Mais elle fut re?ue par un gros intendant qui la remercia dignement sur le pas de la porte. Quelques jours après, les enfants du comte de Preux envoyèrent dans ses plates-bandes un ballon tout neuf. La crainte d'être remerciée par un intendant fit qu'elle renvoya le ballon à la comtesse par un de ses domestiques, avec une lettre fort spirituelle et de la tournure la plus aristocratique. Ce fut le précepteur des enfants, un vrai cuistre, qui lui répondit. La jolie veuve (elle était alors dans le plein de sa beauté) en fut pour ses avances.[17] Elle se disait quelquefois le soir, en rentrant chez elle: ?Le sort est bien ridicule! J'ai le droit d'entrer tant que je veux au no 57, et il ne m'est pas permis de m'introduire pour un quart d'heure au 59 ou au 55!? Ses seules connaissances dans le monde du faubourg étaient quelques débiteurs de son père, auxquels elle n'avait garde de demander de l'argent.[18] En récompense de sa discrétion, ces honorables personnes la recevaient quelquefois le matin.[19] à midi, elle pouvait se déshabiller: toutes ses visites étaient faites.
[Note 13: =sans lanterne=, a reference to the story that Diogenes (see vocabulary) once carried a lantern about the streets in the daytime seeking for an honest man.]
[Note 14: =révolution de Juillet=, see note #4.]
[Note 15: =choléra de 1832=; Asiatic cholera did not make its appearance in Europe until the outbreak of the general epidemic of 1830-32.]
[Note 16: =elle entendait causer=, she could hear people talking.]
[Note 17: =La jolie veuve en fut pour ses avances=, the pretty widow had her pains for nothing.]
[Note 18: =auxquels elle n'avait garde de demander de l'argent=, whom she had been careful not to ask for money.]
[Note 19: =avant midi=; persons of inferior social position should be received only in the forenoon, during the tradesmen's hours.]
Le régisseur de la forge l'arracha à cette vie intolérable en la rappelant à ses affaires. Arrivée à Arlange, elle y trouva ce qu'elle avait cherché vainement dans tout Paris: la clef du faubourg Saint-Germain.[20] Un de ses voisins de campagne hébergeait depuis trois mois M. le marquis[21] de Kerpry, capitaine au 2e régiment de dragons. Le marquis était un homme de quarante ans, mauvais officier, bon vivant, toujours vert, assuré contre la vieillesse, et célèbre par ses dettes, ses duels et ses fredaines. Du reste, riche de sa solde, c'est-à-dire excessivement pauvre. ?Je tiens mon marquisat!? pensa la belle éliane. Elle fit sa cour au marquis, et le marquis ne lui tint pas rigueur. Deux mois plus tard il envoyait sa démission au ministère de la guerre et conduisait à l'église la veuve de M. Morel. Conformément à la loi, le mariage fut affiché dans la commune d'Arlange, au 10e arrondissement de Paris, et dans la dernière garnison du capitaine. L'acte de naissance[22] du marié, rédigé sous la Terreur, ne portait que le nom vulgaire de Beno?t, mais on y joignit un acte de notoriété publique attestant que de mémoire d'homme[23] M. Beno?t était connu comme marquis de Kerpry.
[Note 20: =la clef du faubourg Saint-Germain=, see note #5.]
[Note 21: =M.
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