La Femme Abbé | Page 7

Sylvain Maréchal
bien! quel est
ton but, Agathe? Si tu aimes véritablement, modèle-toi sur l'objet de
ton amour. Sois aussi sage, aussi réservée que lui.» Et moi, je te
répondrai que plus je connais Saint-Almont, plus je trouve de raisons
pour l'aimer davantage; et assurément, tant que les choses n'iront pas
plus loin, on n'a pas le plus petit reproche à me faire.
Mais tu vas te récrier de nouveau à un autre projet qui me roule dans la
tête! Tu me la croiras tout à fait tournée, et tu auras tort encore une fois.
Sache donc, sans autre circonlocution, que je suis résolue à prendre
l'habit d'homme, afin de voir plus souvent et plus à mon aise

Saint-Almont. Sans lui en dire le motif, j'ai déjà fait part de ce dessein à
ma bonne maman. Elle n'a pas eu le courage de me contredire; ainsi
donc, au reçu de ta réponse à cette missive, je passe à l'exécution. Ton
Agathe quitte les habits de son sexe, sans en abandonner les vertus
pudiques. Je te le répète, j'ai à coeur de me conserver digne de ton
amitié et de ma propre estime. Adieu; je t'embrasse, et te charge de
faire ma paix avec ton mari, s'il était d'humeur à me gronder. Adieu, ma
toute bonne.

XII.
ZOÉ À SA PAUVRE AGATHE.
Ma pauvre et toujours chère Agathe! es-tu folle? Quoi! tout de bon! tu
veux renoncer à ton sexe: il ne te manquait plus que ce nouvel incident.
Mais, dis-moi, as-tu bien réfléchi sur les conséquences de ce que tu te
permets avec une légèreté qui me passe? Reviens à toi; reste toujours
mon Agathe. Sois toujours cette fille aimable et spirituelle, intéressante
et gaie. De grâce! reviens sur tes pas, et crains de te perdre. Vois le
chemin que tu as déjà parcouru en si peu de temps; du moins, avant
tout, viens nous voir un seul jour. Si tu nous refuses cette fois, tu nous
fâcheras plus que tu ne penses. Donne au moins à l'amitié les
intervalles lucides que l'amour te laisse. Profites-en. Sois encore notre
amie. Zoé méritait peut-être le sacrifice de quelques heures de ton
temps. Plus de Zoé pour Agathe, si tu persistes à ne plus me voir!

XIII.
AGATHE À SA ZOÉ.
Ta lettre ne m'est parvenue cette fois que deux jours après celui marqué
par sa date. Je n'ai pu endurer ce retard, et attendre de tes nouvelles
pour exécuter ce que j'ai à t'annoncer. Hier matin, j'ai paru en habits
d'homme devant ma grand'maman, à l'heure du déjeûner. Elle ne m'a
point reconnue d'abord; mais je me jetai dans ses bras, en lui disant:

«Quoi! vous méconnaissez votre bonne petite fille Agathe?» Au son de
ma voix, des larmes de plaisir coulèrent de ses yeux; elle me dit: «Tu es
une espiègle. Je t'aimais déjà beaucoup; avais-je besoin de ce joli
déguisement pour t'aimer encore davantage? Que cet habit te sied! il te
donne un air mutin dont je raffole.»
«Ma bonne petite maman, puisque je ne vous déplais pas sous ce
vêtement, souffrirez-vous que je le porte souvent? Je n'en serai que plus
disposée à vous servir; ce costume, plus commode que l'autre, me
mettra à même de vous être encore plus utile que par le passé. Je vais
dès aujourd'hui essayer de sortir avec ces habits, et de faire une longue
course. J'irai, jusque dans le quartier de la première messe ou vous
m'avez conduite il y a déjà plusieurs mois.»
«Va, mon enfant, me dit ma grand'maman, et prends bien garde aux
accidens: je serais inconsolable.»
Je me rendis donc de suite, avec la vitesse de l'oiseau, jusqu'à l'église
desservie par Saint-Almont, et j'arrivai précisément au moment qu'il
sortait de la sacristie pour monter à l'autel. Je m'offris à lui servir la
messe. L'enfant de choeur ne demandait pas mieux. Il fallait me voir
marcher devant Saint-Almont! Je cachai le mieux que je pus, sous un
air de componction, le contentement que je ressentais.
Arrivée à la chapelle, je m'acquittai de mon devoir avec assez
d'intelligence. J'avais eu le soin depuis quelques jours d'étudier la
manière de servir un prêtre à l'autel.
Néanmoins, je tremblais de tout mon corps; mes genoux fléchissaient
sous moi. Quand ce vint au lavabo, Saint-Almont qui s'aperçut de mon
trouble, daigna me dire au milieu de sa prière: «Jeune homme! rassurez
vous.» Je lui répondis, les yeux baissés: «C'est pour la première fois
que je m'acquitte de ce service: je ferai mieux à la messe prochaine.»
Ô ma Zoé! tu ne te fais pas l'idée du plaisir pur que je savourai. Des
rigoristes me traiteront de sacrilége: ils auront tort. Ce n'est point pour
me moquer des choses saintes que j'en agissais ainsi; je ne voulais que
voir de plus près un homme que j'estime
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