la dernière; car on n'aime pas deux fois, m'a-t-on dit.
SAINT-ALMONT.
Aimer n'est pas toujours une faiblesse coupable; mais trop souvent c'est
la cause innocente de bien des peines.
AGATHE.
C'est ce que je crains.
SAINT-ALMONT.
Éprouveriez-vous quelques obstacles?
AGATHE.
Permettez-moi de vous ouvrir mon âme tout entière.
SAINT-ALMONT.
Dites.
AGATHE.
La situation où je me trouve n'est pas ordinaire.
SAINT-ALMONT.
Parlez, et disposez de moi, si vous pensez que je puisse contribuer en
quelque chose à votre tranquillité.
AGATHE.
Sachez donc...
SAINT-ALMONT.
Votre voix est tremblante. Rassurez-vous.
AGATHE.
Apprenez donc que celui que j'aime est d'une profession à ne pouvoir
me payer de retour, quand bien même il saurait qu'il est aimé de moi.
SAINT-ALMONT.
Vous me surprenez. Je n'imagine pas....
AGATHE.
Eh bien! sachez donc que l'homme qui a trouvé, sans le chercher, le
chemin de mon coeur, et qui l'ignore, est un prêtre comme vous.
SAINT-ALMONT.
Un prêtre!
AGATHE.
Oui! un prêtre tel que vous.
SAINT-ALMONT.
Comment se fait-il?
AGATHE.
Ses malheurs m'ont d'abord intéressée; et de la pitié à l'amour, il n'y
qu'un pas.
SAINT-ALMONT.
Et il ne se doute point du penchant funeste qu'il vous a inspiré?
AGATHE.
Nullement.
SAINT-ALMONT.
Il ne vous a jamais parlé?
AGATHE.
Jamais. Je ne sais pas même s'il m'a vue; du moins il ne m'a point
remarquée. Ses malheurs et ses vertus m'ont entraînée vers lui. Quand
on aime, on ne calcule point. Vous le savez peut-être aussi bien que
moi?
(Saint-Almont ne me répondit pas; mais il laissa échapper un soupir.)
Vous voyez, mon père, combien j'ai besoin de vos bons avis.
Connaissez-vous un remède à cette funeste passion?
SAINT-ALMONT.
Saviez-vous l'état de celui qui vous l'a inspirée?
AGATHE.
Oui.
SAINT-ALMONT.
Il habite Paris en ce moment encore?
AGATHE.
Oui.
SAINT-ALMONT.
Mais sans doute que vous ne cherchez point à le voir?
AGATHE.
Au contraire, je l'ai vu tous les jours sans m'en défendre.
SAINT-ALMONT.
Ce n'est pas ainsi que vous guérirez.
AGATHE.
Je le sais.
SAINT-ALMONT.
Fuyez, non pas le danger; il n'y en a point à craindre: mais redoutez de
longs chagrins.
AGATHE.
Je n'en ai pas le courage.
SAINT-ALMONT.
La raison....
AGATHE.
Le coeur.... Mettez-vous à ma place.
SAINT-ALMONT.
Je n'ai que des conseils à vous donner.
AGATHE.
Que me conseillez-vous?
SAINT-ALMONT.
Mais, de votre côté, il faut des sacrifices.
AGATHE.
De quelle nature?
SAINT-ALMONT.
D'abord, renoncer à le voir.
AGATHE.
Je n'ose vous le promettre. Quel mal fais-je, en le voyant, tant que je ne
lui parlerai point?
SAINT-ALMONT.
Mais que prétendez-vous, en continuant à le voir?
AGATHE.
Je ne prétends qu'au plaisir, certes! fort innocent de l'aimer sans le lui
dire; car je mourrai avant qu'il ait mon secret.
SAINT-ALMONT.
Vous n'êtes point la seule victime d'un pareil penchant; d'autres aussi
ont aimé d'abord comme vous, et ensuite ont montré plus de courage
que vous. Tâchez de les imiter.
AGATHE.
Cela est au-dessus de mes forces.
SAINT-ALMONT.
J'en connais qui ont su élever un mur d'éternelle séparation entre eux et
l'objet de leur affection.
AGATHE.
Je les en félicite; mais je ne me sens pas assez de caractère.
SAINT-ALMONT.
Ni moi assez de lumières pour vous guider. Adressez-vous à des prêtres
plus exercés dans le saint ministère où je suis encore novice.
AGATHE.
Vous me refusez des secours?
SAINT-ALMONT.
C'est que ceux que j'ai à vous donner sont insuffisans. Que voulez-vous
de moi?
AGATHE.
Des consolations du moins.
SAINT-ALMONT.
Quittons-nous, puisque je ne puis parvenir à vous calmer.
AGATHE.
J'attendais davantage.
SAINT-ALMONT.
Comptez sur mes prières, et souffrez que..... J'éprouve un malêtre....
AGATHE.
Me permettez-vous de revenir dans quelques jours vous consulter?....
SAINT-ALMONT.
Il n'est pas nécessaire. Votre guérison est en votre pouvoir plus qu'au
mien....
AGATHE.
Vous m'abandonnez....
SAINT-ALMONT.
Présentez-vous au grand-pénitencier.
AGATHE.
Suis-je donc une si grande criminelle?
SAINT-ALMONT.
Vous n'êtes qu'à plaindre, et vous n'êtes pas seule dans ce précipice. Je
vous adresse à un vieillard plein de vertu et d'expérience. Allez.
AGATHE.
Vous ne voulez plus me recevoir?
SAINT-ALMONT.
Si vous saviez ce qu'il m'en coûte de ne pouvoir répondre à votre
confiance; mais elle sera mieux placée où je vous envoie. Que le ciel
vous donne sa grâce!
Je voulus insister; mais Saint-Almont ferma la petite grille à travers
laquelle nous eûmes cette conférence; et se retournant du côté opposé,
donna audience à d'autres personnes moins embarrassantes pour lui, et
moins embarrassées que moi.
Il fallut donc me retirer. Il faisait nuit noire. Une circonstance me
consola du peu de succès de cette démarche singulière, et bizarre, si tu
veux, ma bonne Zoé. C'est que Saint-Almont ne put voir mon visage;
par conséquent, je concevais l'espoir d'une autre entrevue avec lui.
Dans ce dessein, j'avais pris aussi la précaution de déguiser ma voix.
À la lecture de cette lettre contenant l'extrait de ce qui s'est passé au
confessionnal de Saint-Almont, tu vas me répéter: «Eh

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