burettes à
Vincent pour les ablutions, se tourna, dit à haute voix:
- Taisez-vous donc, mademoiselle Désirée! Vous voyez bien que nous
n'avons pas fini.
Une odeur forte de basse-cour venait par la porte ouverte, soufflant
comme un ferment d'éclosion dans l'église, dans le soleil chaud qui
gagnait l'autel. Désirée resta un instant debout, toute heureuse du petit
monde qu'elle portait, regardant Vincent verser le vin de la purification,
regardant son frère boire ce vin, pour que rien des saintes espèces ne
restât dans sa bouche. Et elle était encore là, lorsqu'il revint tenant le
calice à deux mains, afin de recevoir sur le pouce et sur l'index, le vin
et l'eau de l'ablution, qu'il but également. Mais la poule, cherchant ses
petits, arrivait en gloussant, menaçait d'entrer dans l'église. Alors,
Désirée s'en alla, avec des paroles maternelles pour les poussins, au
moment où le prêtre, après avoir appuyé le purificatoire sur les lèvres,
le passait sur les bords, puis dans l'intérieur du calice.
C'était la fin, les actions de grâce rendues à Dieu. Le servant alla
chercher une dernière fois le Missel, le rapporta à droite. Le prêtre
remit sur le calice le purificatoire, la patène, la pale; puis, il pinça de
nouveau les deux larges plis du voile, et posa la bourse, dans laquelle il
avait plié le corporal. Tout son être était un ardent remerciement. Il
demandait au ciel la rémission de ses péchés, la grâce d'une sainte vie,
le mérite de la vie éternelle. Il restait abîmé dans ce miracle d'amour,
dans cette immolation continue qui le nourrissait chaque jour du sang et
de la chair de son Sauveur.
Après avoir lu les Oraisons, il se tourna, disant:
- Ite, missa est.
- Deo gratias, répondit Vincent.
Puis, s'étant retourné pour baiser l'autel, il revint, la main gauche
au-dessous de la poitrine, la main droite tendue, bénissant l'église
pleine des gaietés du soleil et du tapage des moineaux.
- Benedicat vos omnipotens Deus, Pater et Filius, et Spiritus Sanctus.
- Amen, dit le servant en se signant.
Le soleil avait grandi, et les moineaux s'enhardissaient. Pendant que le
prêtre lisait, sur le carton de gauche, l'Évangile de Saint Jean,
annonçant l'éternité du Verbe, le soleil enflammait l'autel, blanchissait
les panneaux de faux marbre, mangeait les clartés des deux cierges,
dont les courtes mèches ne faisaient plus que deux taches sombres.
L'astre triomphant mettait dans sa gloire la croix, les chandeliers, la
chasuble, le voile du calice, tout cet or pâlissant sous ses rayons. Et
lorsque le prêtre, prenant le calice, faisant une génuflexion, quitta
l'autel pour retourner à la sacristie, la tête couverte, précédé du servant
qui remportait les burettes et le manuterge, l'astre demeura seul maître
de l'église. Il s'était posé à son tour sur la nappe, allumant d'une
splendeur la porte du tabernacle, célébrant les fécondités de mai. Une
chaleur montait des dalles. Les murailles badigeonnées, la grande
Vierge, le grand Christ lui-même, prenaient un frisson de sève, comme
si la mort était vaincue par l'éternelle jeunesse de la terre.
III.
La Teuse se hâta d'éteindre les cierges. Mais elle s'attarda à vouloir
chasser les moineaux. Aussi, quand elle rapporta le Missel à la sacristie,
ne trouva-t-elle plus l'abbé Mouret, qui avait rangé les ornements sacrés,
après s'être lavé les mains. Il était déjà dans la salle à manger, debout,
déjeunant d'une tasse de lait.
- Vous devriez bien empêcher votre soeur de jeter du pain dans l'église,
dit la Teuse en entrant. C'est l'hiver dernier qu'elle a inventé ce joli
coup-là. Elle disait que les moineaux avaient froid, que le bon Dieu
pouvait bien les nourrir... Vous verrez qu'elle finira par nous faire
coucher avec ses poules et ses lapins.
- Nous aurions plus chaud, répondit gaiement le jeune prêtre. Vous
grondez toujours, la Teuse. Laissez donc notre pauvre Désirée aimer
ses bêtes. Elle n'a pas d'autre plaisir, la chère innocente.
La servante se planta au milieu de la pièce.
- Oh! vous! reprit-elle, vous accepteriez que les pies elles-mêmes
bâtissent leurs nids dans l'église. Vous ne voyez rien, vous trouvez tout
parfait... Votre soeur est joliment heureuse que vous l'ayez prise avec
vous, au sortir du séminaire. Pas de père, pas de mère. Je voudrais
savoir qui lui permettrait de patauger comme elle le fait, dans une
basse-cour?
Puis, changeant de ton, s'attendrissant:
- Ça, bien sûr, ce serait dommage de la contrarier. Elle est sans malice
aucune. Elle n'a pas dix ans d'âge, bien qu'elle soit une des plus fortes
filles du pays... Vous savez, je la couche encore, le soir, et il faut que je
lui raconte des histoires pour l'endormir, comme à une enfant.
L'abbé Mouret était resté debout, achevant sa tasse de lait, les doigts un
peu rougis par la fraîcheur de la salle à manger, une grande pièce
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