La Faute de lAbbe Mouret | Page 8

Emile Zola
qui descendait en pente douce jusqu'au village; elle s'allongeait, pareille �� une bergerie abandonn��e, perc��e de larges fen��tres, ��gay��e par des tuiles rouges. Le pr��tre se retourna, jetant un coup d'oeil sur le presbyt��re, une masure grisatre, coll��e au flanc m��me de la nef; puis, comme s'il e?t craint d'��tre repris par l'intarissable bavardage bourdonnant �� ses oreilles depuis le matin, il remonta �� droite, il ne se crut en s?ret�� que devant le grand portail, o�� l'on ne pouvait l'apercevoir de la cure. La fa?ade de l'��glise, toute nue, rong��e par les soleils et les pluies, ��tait surmont��e d'une ��troite cage en ma?onnerie, au milieu de laquelle une petite cloche mettait son profil noir; on voyait le bout de la corde, entrant dans les tuiles. Six marches rompues, �� demi enterr��es par un bout, menaient �� la haute porte ronde, crevass��e, mang��e de poussi��re, de rouille, de toiles d'araign��es, si lamentable sur ses gonds arrach��s, que les coups de vent semblaient devoir entrer, au premier souffle. L'abb�� Mouret, qui avait des tendresses pour cette ruine, alla s'adosser contre un des vantaux, sur le perron. De l��, il embrassait d'un coup d'oeil tout le pays. Les mains aux yeux, il regarda, il chercha �� l'horizon.
En mai, une v��g��tation formidable crevait ce sol de cailloux. Des lavandes colossales, des buissons de gen��vriers, des nappes d'herbes rudes, montaient sur le perron, plantaient des bouquets de verdure sombre jusque sur les tuiles. La premi��re pouss��e de la s��ve mena?ait d'emporter l'��glise, dans le dur taillis des plantes noueuses. A cette heure matinale, en plein travail de croissance c'��tait un bourdonnement de chaleur, un long effort silencieux soulevant les roches d'un frisson. Mais l'abb�� ne sentait pas l'ardeur de ces couches laborieuses; il crut que la marche basculait, et s'adossa contre l'autre battant de la porte.
Le pays s'��tendait �� deux lieues, ferm�� par un mur de collines jaunes, que des bois de pins tachaient de noir; pays terrible aux landes s��ch��es, aux ar��tes rocheuses d��chirant le sol. Les quelques coins de terre labourable ��talaient des mares saignantes, des champs rouges, o�� s'alignaient des files d'amandiers maigres, des t��tes grises d'oliviers, des tra?n��es de vignes, rayant la campagne de leurs souches brunes. On aurait dit qu'un immense incendie avait pass�� l��, semant sur les hauteurs les cendres des for��ts, br?lant les prairies, laissant son ��clat et sa chaleur de fournaise dans les creux. A peine, de loin en loin, le vert pale d'un carr�� de bl�� mettait-il une note tendre. L'horizon restait farouche, sans un filet d'eau, mourant de soif, s'envolant par grandes poussi��res aux moindres haleines. Et, tout au bout, par un coin ��croul�� des collines de l'horizon, on apercevait un lointain de verdures humides, une ��chapp��e de la vall��e voisine, que f��condait la Viorme, une rivi��re descendue des gorges de la Seille.
Le pr��tre, les yeux ��blouis, abaissa les regards sur le village, dont les quelques maisons s'en allaient �� la d��bandade, au bas de l'��glise. Mis��rables maisons, faites de pierres s��ches et de planches ma?onn��es, jet��es le long d'un ��troit chemin, sans rues indiqu��es. Elles ��taient au nombre d'une trentaine, les unes tass��es dans le fumier, noires de mis��re, les autres plus vastes, plus gaies, avec leurs tuiles roses. Des bouts de jardin, conquis sur le roc, ��talaient des carr��s de l��gumes, coup��s de haies vives. A cette heure, les Artaud ��taient vides; pas une femme aux fen��tres, pas un enfant vautr�� dans la poussi��re; seules, des bandes de poules allaient et venaient, fouillant la paille, qu��tant jusqu'au seuil des maisons, dont les portes laiss��es ouvertes baillaient complaisamment au soleil. Un grand chien noir, assis sur son derri��re, �� l'entr��e du village, semblait le garder.
Une paresse engourdissait peu �� peu l'abb�� Mouret. Le soleil montant le baignait d'une telle ti��deur, qu'il se laissait aller contre la porte de l'��glise, envahi par une paix heureuse. Il songeait �� ce village des Artaud, pouss�� l��, dans les pierres, ainsi qu'une des v��g��tations noueuses de la vall��e. Tous les habitants ��taient parents, tous portaient le m��me nom, si bien qu'ils prenaient des surnoms d��s le berceau, pour se distinguer entre eux. Un anc��tre, un Artaud, ��tait venu, qui s'��tait fix�� dans cette lande, comme un paria; puis, sa famille avait grandi, avec la vitalit�� farouche des herbes su?ant la vie des rochers; sa famille avait fini par ��tre une tribu, une commune, dont les cousinages se perdaient, remontaient �� des si��cles. Ils se mariaient entre eux, dans une promiscuit�� ��hont��e; on ne citait pas un exemple d'un Artaud ayant amen�� une femme d'un village voisin; les filles seules s'en allaient, parfois. Ils naissaient, ils mouraient, attach��s �� ce coin de terre, pullulant sur leur fumier, lentement, avec une simplicit�� d'arbres qui repoussaient de leur semence, sans avoir une id��e nette du vaste monde, au del�� de
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