A l'amour qui se réveille, A la pudeur qui s'endort! Ta bouche, c'est le ciel même! Mon ame veut s'y poser. Puisse mon souffle suprême S'en aller dans ce baiser!
LA ESMERALDA.
Ta voix pla?t à mon oreille; Ton sourire est doux et fort; L'insouciance vermeille Rit dans tes yeux et m'endort. Tes voeux sont ma loi suprême, Mais je dois m'y refuser. Ma vertu, mon bonheur même, S'en iraient dans ce baiser!
CLAUDE FROLLO.
Ne frappez point leur oreille, Pas rapprochés de la mort! Ma haine jalouse veille Sur leur amour qui s'endort! La mort décharnée et blême Entre eux deux va se poser! Phoebus, ton souffle suprême S'en ira dans ce baiser!
[Claude Frollo se jette sur Phoebus et le poignarde, puis il ouvre la fenêtre du fond, par laquelle il dispara?t. La Esmeralda tombe avec un grand cri sur le corps de Phoebus. Entrent en tumulte les hommes apostés, qui la saisissent et semblent l'accuser. La toile tombe.]
ACTE QUATRIèME
SCENE PREMIèRE.
[Une prison. Au fond, une porte.]
LA ESMERALDA, [seule, encha?née, couchée sur la paille.]
Quoi! lui dans le sépulcre, et moi dans cet ab?me! Moi prisonnière et lui victime! Oui, je l'ai vu tomber. Il est mort en effet! Et ce crime, ? ciel! un tel crime, On dit que c'est moi qui l'ai fait! La tige de nos jours est brisée encor verte! Phoebus en s'en allant me montre le chemin! Hier sa fosse s'est ouverte, La mienne s'ouvrira demain!
ROMANCE.
Phoebus, n'est-il sur la terre Aucun pouvoir salutaire A ceux qui se sont aimés? N'est-il ni philtres ni charmes Pour sécher des yeux en larmes, Pour rouvrir des yeux fermés? Dieu bon, que je supplie Et la nuit et le jour, Daignez m'?ter ma vie Ou m'?ter mon amour!
Mon Phoebus, ouvrons nos ailes Vers les sphères éternelles, Où l'amour est immortel! Retournons où tout retombe! Nos corps ensemble à la tombe, Nos ames ensemble au ciel!
Dieu bon, que je supplie Et la nuit et le jour, Daignez m'?ter ma vie Ou m'?ter mon amour!
[La porte s'ouvre. Entre Claude Frollo, une lampe à la main, lo capuchon rabattu sur le visage. Il vient se placer, immobile, en face de la Esmeralda.]
LA ESMERALDA, [se levant en sursaut.]
Quel est cet homme?
CLAUDE FROLLO, [voilé par son capuchon.]
Un prêtre.
LA ESMERALDA.
Un prêtre! Quel mystère!
CLAUDE FROLLO.
êtes-vous prête?
LA ESMERALDA.
A quoi?
CLAUDE FROLLO.
Prête à mourir.
LA ESMERALDA.
Oui.
CLAUDE FROLLO.
Bien.
LA ESMERALDA.
Sera-ce bient?t? Répondez-moi, mon père.
CLAUDE FROLLO.
Demain.
LA ESMERALDA.
Pourquoi pas aujourd'hui?
CLAUDE FROLLO.
Quoi! vous souffrez donc bien?
LA ESMERALDA.
Oui, je souffre!
CLAUDE FROLLO.
Peut-être, Moi qui vivrai demain, je souffre plus que vous.
LA ESMERALDA.
Vous? qui donc êtes-vous?
CLAUDE FROLLO.
La tombe est entre nous!
LA ESMERALDA.
Votre nom?
CLAUDE FROLLO.
Vous voulez le savoir?
LA ESMERALDA.
Oui.
[Il lève son capuchon.]
LA ESMERALDA.
Le prêtre! C'est le prêtre! ? ciel! ? mon Dieu! C'est bien son front de glace et son regard de feu! C'est bien le prêtre! c'est lui-même! C'est lui qui me poursuit sans trêve nuit et jour! C'est lui qui l'a tué, mon Phoebus, mon amour! Monstre, je vous maudis à mon heure suprême! Que vous ai-je donc fait? quel est votre dessein? Que voulez-vous de moi, misérable assassin? Vous me ha?ssez donc?
CLAUDE FROLLO.
Je t'aime!--
Je t'aime, c'est infame! Je t'aime en frémissant! Mon amour, c'est mon ame; Mon amour, c'est mon sang. Oui, sous tes pieds je tombe, Et, je le dis, Je préfère ta tombe Au paradis. Plains-moi! Quoi! je succombe.; Et tu maudis!
LA ESMERALDA.
Il m'aime! ? comble d'épouvante! Il me tient, l'horrible oiseleur!
CLAUDE FROLLO.
La seule chose en moi vivante, C'est mon amour et ma douleur!
Détresse extrême! Quelle rigueur! Hélas! je t'aime! Nuit de douleur!
LA ESMERALDA.
Moment suprême! Tremble, ? mon coeur! O ciel! il m'aime! Nuit de terreur!
CLAUDE FROLLO, [à part.]
Dans mes mains elle palpite! Enfin le prêtre a son tour! Dans la nuit je l'ai conduite, Je vais la conduire au jour. La mort, qui vient à ma suite, Ne la rendra qu'à l'amour!
LA ESMERALDA.
Par pitié laissez-moi vite! Phoebus est mort, c'est mon tour! Hélas! je suis interdite Devant votre affreux amour, Comme l'oiseau qui palpite Sous le regard du vautour!
CLAUDE FROLLO.
Accepte-moi! je t'aime! oh! viens, je t'en conjure! Pitié pour moi! pitié pour toi! fuyons! tout dort!
LA ESMERALDA.
Votre prière est une injure!
CLAUDE FROLLO.
Aimes-tu mieux mourir?
LA ESMERALDA.
Le corps meurt, l'ame sort.
CLAUDE FROLLO.
Mourir, c'est bien affreux!
LA ESMERALDA.
Taisez-vous, bouche impure! Votre amour rend belle la mort!
CLAUDE FROLLO.
Choisis, choisis.--Claude ou la mort!
[Claude tombe aux pieds d'Esmeralda, suppliant. Elle le repousse.]
LA ESMERALDA.
Non, meurtrier! jamais! silence! Ton lache amour est une offense. Plut?t la tombe où je m'élance! Sois maudit parmi les maudits!
CLAUDE FROLLO.
Tremble! l'échafaud te réclame. Sais-tu que je porte en mon ame Des projets de sang et de flamme, De l'enfer dans-l'ombre applaudis?
Oh! je t'adore! Donne ta main! Tu peux encore Vivre demain! O nuit d'alarmes! Nuit de remord! Pour moi les larmes, Pour toi la mort! Dis-moi: Je t'aime! Pour te sauver!-- L'aube suprême Va se lever. Ah! puisqu'en vain je t'implore, Puisque ta haine me fuit, Adieu donc! un jour encore,
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