La Esmeralda | Page 6

Victor Hugo
yeux remplis de larmes Qu'on essuie avec un baiser!
[Pendant qu'il chante, les autres boivent et choquent leurs verres.]
CHOEUR.
C'est le bonheur suprême, En quelque temps qu'on soit, De boire à ce qu'on aime Et d'aimer ce qu'on boit!
PHOEBUS.
Amis, la plus jolie, Une grace accomplie! 0 délire! ? folie! Amis, elle est à moi!
CLAUDE FROLLO, [à part.]
A l'enfer je m'allie. Malheur sur elle et toi!
PHOEBUS.
Le plaisir nous convie! épuisons sans retour Le meilleur de la vie Dans un instant d'amour!
Qu'importe après que l'on meure! Donnons cent ans pour une heure, L'éternité pour un jour!
[Le couvre-feu sonne. Les amis de Phoebus se lèvent de table, [remettent leurs épées, leurs chapeaux, leurs manteaux, et [s'apprêtent à partir.]
CHOEUR.
Phoebus, l'heure t'appelle; Oui, c'est le couvre-feu. Va retrouver ta belle. A la garde de Dieu!
PHOEBUS.
Vraiment! l'heure m'appelle; Oui, c'est le couvre-feu. Je vais trouver ma belle. A la garde de Dieu!
[Les amis de Phoebus sortent.]

SCèNE II
CLAUDE FROLLO, PHOEBUS.
CLAUDE FROLLO, [arrêtant Phoebus au moment où il se [dispose à sortir.]
Capitaine!
PHOEBUS. Quel est cet homme?
CLAUDE FROLLO.
écoutez-moi.
PHOEBUS.
Dépêchons-nous!
CLAUDE FROLLO.
Savez-vous bien comment se nomme Celle qui vous attend ce soir au rendez-vous?
PHOEBUS.
Eh, pardieu! c'est mon amoureuse, Celle qui m'aime et me pla?t fort; C'est ma chanteuse, ma danseuse, C'est Esmeralda.
CLAUDE FROLLO.
C'est la mort.
PHOEBUS.
L'ami, vous êtes fou, d'abord; Ensuite, allez au diable!
CLAUDE FROLLO.
écoutez!
PHOEBUS.
Que m'importe?
CLAUDE FROLLO.
Phoebus, si vous passez le seuil de cette porte....
PHOEBUS. Vous êtes fou!
CLAUDE FROLLO.
Vous êtes mort!
Tremble! c'est une égyptienne! Elles n'ont ni loi, ni remord. Leur amour déguise leur haine, Et leur couche est un lit de mort!
PHOEBUS, riant.
Mon cher, rajustez votre cape. Rentrez à l'h?pital des fous; Il me para?t qu'on s'en échappe. Que Jupiter, saint Esculape, Et le diable soient avec vous!
CLAUDE FROLLO.
Ce sont des femmes infidèles. Crois-en les publiques rumeurs. Tout est ténèbres autour d'elles. Phoebus, n'y va pas, ou tu meurs!
[L'insistance de Claude Frollo para?t troubler Phoebus, qui considère son interlocuteur avec anxiété.]
PHOEBUS.
Il m'étonne, Il me donne Malgré moi quelques soup?ons. Cette ville, Peu tranquille, Est pleine de trahisons.
CLAUDE FROLLO.
Je l'étonne, Je lui donne Malgré lui quelques soup?ons. L'imbécile, Dans la ville, Ne voit plus que trahisons.
Croyez-moi, monseigneur, évitez la sirène Dont le piége vous attend. Plus d'une bohémienne A poignardé dans sa haine Un coeur d'amour palpitant.
[Phoebus, qu'il veut entra?ner, se ravise et le repousse.]
PHOEBUS.
Mais suis-je fou moi-même? Maure, juive ou bohème, Qu'importe quand on aime? L'amour doit tout couvrir. Laisse-nous! il m'appelle! Ah! si la mort, c'est elle, Quand la mort est si belle, Il est doux de mourir!
CLAUDE, [le retenant.]
Arrête! Une bohème! Ta folie est extrême! Oses-tu donc toi-même A ta perte courir? Crains la femme infidèle Qui dans l'ombre t'appelle. Mais quoi! tu cours près d'elle? Va, si tu veux mourir!
[Phoebus sort vivement, malgré Claude Frollo. Claude Frollo reste un moment sombre et comme indécis; puis il suit Phoebus.]

SCèNE III.
[Une chambre. Au fond, une fenêtre qui donne sur la rivière.]
[Clopin Trouillefou entre, un flambeau à la main; il est accompagné de quelques hommes auxquels il fait un geste d'intelligence, et qu'il place dans un coin obscur où ils disparaissent; puis il retourne vers la porte et semble faire signe à quelqu'un de monter. Dom Claude para?t.]
CLOPIN, [à Claude.]
D'ici vous pourrez voir, sans être vu vous-même, Le capitaine et la bohème.
[Il lui montre un enfoncement derrière une tapisserie.]
CLAUDE FROLLO.
Les hommes apostés sont-ils prêts?
CLOPIN.
Ils sont prêts.
CLAUDE FROLLO.
Que jamais de ceci l'on ne trouve la source. Silence! prenez cette bourse. Vous en aurez autant après.
[Claude Frollo se place dans la cachette. Clopin sort avec précaution. Entrent la Esmeralda et Phoebus.]
CLAUDE FROLLO, [à part.]
O fille adorée, Au destin livrée! Elle entre parée Pour sortir en deuil!
LA ESMERALDA, [à Phoebus.]
Monseigneur le comte, Mon coeur que je dompte Est rempli de honte Et rempli d'orgueil!
PHOEBUS, [à la Esmeralda.]
Oh! comme elle est rose! Quand la porte est close, Ma belle, on dépose Toute crainte au seuil.
[Phoebus fait asseoir la Esmeralda sur le banc près de lui.]
PHOEBUS.
M'aimes-tu?
LA ESMERALDA.
Je t'aime!
CLAUDE FROLLO, [à part.]
O torture!
PHOEBUS.
O l'adorable créature! Vous êtes divine, en honneur!
LA ESMERALDA.
Votre bouche est une flatteuse! Tenez, je suis toute honteuse! N'approchez pas tant, monseigneur!
CLAUDE FROLLO.
Ils s'aiment! que je les envie!
LA ESMERALDA.
Mon Phoebus, je vous dois la vie!
PHOEBUS.
Et moi, je te dois le bonheur!
LA ESMERALDA.
Oh! sois sage! Encourage D'un visage Gracieux La petite Qui palpite Interdite Sous tes yeux!
PHOEBUS.
O ma reine, Ma sirène, Souveraine De beauté! Douce fille, Dont l'oeil brille Et pétille De fierté!
CLAUDE FROLLO.
Les attendre! Les entendre! Qu'elle est tendre! Qu'il est beau! Sois joyeuse! Sois heureuse! Moi, je creuse Le tombeau!
PHOEBUS.
Fée ou femme, Sois ma dame! Car mon ame, Nuit et jour, Te désire, Te respire, Et t'admire, Mon amour!
LA ESMERALDA.
Je suis femme, Et mon ame, Toute flamme, Tout amour, Est, beau sire, Une lyre Qui soupire Nuit et jour!
CLAUDE FROLLO.
Attends, femme, Que ma flamme Et ma lame Aient leur tour! Oui, j'admire Leur sourire, Leur délire, Leur amour!
PHOEBUS.
Sois toujours rose et vermeille! Rions à notre heureux sort,
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